« I don’t want to be a wise guy, but when Hitler made a speech at the Eiffel Tower, I would say that wasn’t exactly ideal1 ». Une fois n’est pas coutume, Donald Trump apparaît en train d’adresser un discours qui percute, cette fois-ci en parlant de la Seconde Guerre mondiale. Il se sert de son pouvoir de chef d’État pour déformer l’histoire. Hitler a certes été face à la tour Eiffel, mais le discours auquel D. Trump fait allusion n’a jamais eu lieu. Avec un parterre militaire derrière lui, il revient sans cesse sur le « nous », sur l’identité de son « peuple » américain, vainqueur, puissant.
L’usage du mensonge en politique est aussi ancien que la cité. Alexandre Koyré2 nous rappelle que les gouvernements totalitaires en ont fait une partie structurante. À notre époque ces mensonges se répandent rapidement partout dans la masse anonyme derrière les écrans. Credere, obedire, combattere, tel est le devoir du peuple. La Boétie3 questionnait la servitude du peuple face au tyran. Freud4 l’a placée sous le signe de l’Idéal et de l’identification. Le leader des régimes totalitaires occupait une place d’exception pour une masse composée de « tous ». Cette place d’exception cependant ne correspond pas à la fonction du père.
Le meneur qu’était Hitler était plutôt du côté du père de la horde, celui de la jouissance. Le père de Freud est celui de l’Œdipe, celui qui interdit la jouissance et qui sépare5. Dans la Massenpsychologie de Freud, il y en a au-moins-un qui est en place d’exception. Jacques-Alain Miller6 mentionne que le totalitarisme des années trente avait instauré le règne de l’Un en politique. Entretemps, l’évaporation du père repérée par Lacan7 s’est confirmée. Celle de l’Idéal également.
L’avènement de la statistique a donné un aperçu de chacun comme faisant partie d’une collectivité. J.-A. Miller8 dira que nous sommes devenus des unités comptables. Avec l’apparition de la moyenne, nous sommes passés de la moyenne liée à la médiocrité, à l’homme moyen comme idéal. Avec Adolphe Quételet, cet homme nouveau sous le signe de la norme est conforme à la majorité9. La majorité est devenue un signifiant-maître10, une dictature comme l’annonçait déjà Tocqueville en parlant du despotisme doux, une majorité qui menace nos démocraties modernes. Ce qui reste de la sexuation du côté masculin, c’est le « tous pareils » de la démocratie11.
Les nouveaux populistes se fondent précisément sur la démocratie dans sa dimension chiffrable pour accéder au pouvoir. Le leader incarne la revendication d’une identité qui accentue la différence entre le « peuple » et le « non-peuple ». L’expansion du racisme et des nationalismes nous montre que le narcissisme des petites différences est toujours d’actualité. Le populisme actuel répond à la nostalgie d’au-moins-un qui sait, Un qui commande. Orienté vers le passé, il incarne un symptôme du malaise de notre civilisation. Il revendique la ségrégation comme un refus de faire face à notre propre division. Il nous reste à faire bon usage de nos votes.
Mónica Guerra
[1] Phrase prononcée par Donald Trump au Qatar, le 16 mai 2025.
[2] Koyre A., Réflexions sur le mensonge, Paris, Allia, 2016.
[3] La Boétie de E., Discours de la servitude volontaire, Paris, Flammarion, 2016.
[4] Freud S., Psychologie des foules et analyse du moi, Paris, Points, 2014.
[5] Dupont L., « Le géniteur, le père, et l’é-pater », Mental, n°48, novembre 2023, p. 123-131.
[6] Miller J.-A., « L’ère de l’homme sans qualités », La Cause freudienne, n°57, juin 2004, p. 73-97.
[7] Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, n°89, mars 2015, p. 8, disponible sur le site de Cairn.
[8] Miller J.-A., « L’ère de l’homme sans qualités », op. cit, p. 73-97.
[9] Rey O., Quand le monde s’est fait nombre, Paris, Desclée de Brouwer, 2021.
[10] Brousse M.-H., « Démocraties sans père », Mental, n°37, juin 2018, p. 63-70.
[11] Miller J.-A., « Bonjour sagesse », La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 84.