On ne s’inquiète bien souvent que de ce que l’on vous montre. Il en est de la violence des jeunes comme d’autres phénomènes dont l’ampleur tient davantage à l’effet de loupe médiatique qu’à une réalité caractérisée. Le rapport de novembre 2023 de la défunte CIIVISE1 tendait à démontrer que les jeunes souffraient davantage de la violence qu’on leur inflige que la société ne souffre de la violence juvénile. En effet, il est loin d’être avéré que la violence soit en expansion au regard d’époques plus lointaines. Sans doute est-elle davantage observée et l’effet multiplicateur des réseaux sociaux en est probablement une des raisons. On remarquera que la violence numérique n’est pas l’apanage de la jeunesse, sur un média où l’anonymisation supposée autorise tous les abus de langage.
Existe-t-il donc une violence spécifique des adolescents caractérisant notre époque ? Jusqu’en 2015 les mineurs mis en examen sous une qualification terroriste représentaient un fait rare et isolé. Depuis il s’est fortement accru en France, sous la qualification d’association de malfaiteurs en vue d’un acte terroriste. Les organismes d’accueil et de protection de la jeunesse ont été alors sollicités dans cette situation déroutante d’une classe d’âge à protéger certes mais dont il s’agissait dorénavant et brusquement de se protéger. Comme toute violence, celle qu’on décrit en lien avec ladite « radicalisation » a été génératrice d’une législation nouvelle. Il s’est produit alors un phénomène inédit en France depuis l’ordonnance de février 1945 qui régit les infractions commises par les mineurs, qui reposait sur la vulnérabilité et l’éducabilité des mineurs. On assiste alors à la création d’une juridiction spécifique pour les mineurs terroristes sans que ce phénomène n’émeuve quiconque2.
Qui sont ces enfants qu’on appelle volontiers « radicalisés » ou « fanatiques » ? Philippe Blanchet3, substitue à la « radicalisation » le terme de fanatisme. Il considère que le terme de « radicalisation » est inadapté car il renvoie dans le langage courant, à tout ce qui touche aux attentats tandis que son sens premier ne renvoie pas nécessairement à des actions violentes. Il prévient contre un usage excessif de cette notion par laquelle on se trouverait à combattre un « changement de comportement » alors que la radicalisation ne pousse pas forcément aux actions violentes. Pourtant le terme radical s’oppose à l’accident en tant qu’il est relatif à la racine, à l’essence d’une chose ou d’un phénomène, sa constance s’oppose à ses expressions variables. Il fait prévaloir ce qui n’est pas l’accident, le malentendu, mais le déterminé et l’immuable.
L’approche radicale semble apporter à ces jeunes un soulagement car ils sont débarrassés de l’équivoque, du malentendu. Ainsi, les enfants rencontrés ne sont pas tant dans une dynamique de séparation que dans la circonscription d’une forme d’étouffement, une forme d’autarcie culturelle et affective qui fait de l’usage des réseaux sociaux sur internet la seule véritable fenêtre ouverte sur un monde refusé. Cette forme de la fin d’un état sans horizon nous renvoie plus sûrement au pari pascalien. L’acte sacrificiel, puisque tel apparaît le sans-horizon de l’action qu’ils mènent, relève du discours eschatologique à la rencontre d’un Dieu qui se dérobe à l’intention et à quoi pallie la promesse d’un paradis. Pour autant, ici, l’acte sacrificiel ne spécule pas sur l’avenir mais plutôt la possibilité d’atteindre l’autre, un autre par son propre sacrifice. Il ne s’agirait pas pour ceux-là de tuer l’autre, l’oppresseur mais de supprimer l’oppression, dont ils se sentent être l’objet, par leur sacrifice.
Débora Fajnwaks
[1] Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.
[2] Les récentes déclarations de Gabriel Attal rendent compte de l’inflexion qu’ont prise les politiques envers la délinquance juvénile.
[3] Blanchet Ph., « la radicalisation », 15 octobre 2019. Disponible sur le site :https://lmsi.net