Un Witz
« Quoi de neuf ? » demande l’amie de fac surprise de tomber sur sa camarade de promo au bras d’un amant canonique. « Que du vieux ! » répond sa jeune collègue. Ce Witz signe à la fois la reconnaissance et le contournement que la jeune femme opère vis-à-vis de son couple aux teints paternalistes. La « valeur du message […] gît dans sa différence d’avec le code » [1]. La jeune femme passe un message, avec un certain « scandale de l’énonciation » [2].
Un stéréotype : le macho
Le machiste, ou macho, selon Le Petit Robert, est un « Homme qui a une conscience exacerbée de sa supériorité virile, et qui prône la suprématie du mâle ». La psychanalyse sait lire, dans cette brève définition, et l’identification, imaginaire, à un idéal de son sexe et la revendication d’un universalisme – un pour tout x –, censé résorber le trou du non-rapport sexuel. Un vrai machiste serait celui qui « réussit » à incarner ce stéréotype sans éprouver de division subjective. Le plus souvent, ce sont de paradoxaux « géants timorés » pour qui il s’agit de « la fuite d’un mâle (non analysé) vers les abris de sa norme » [3], soit d’un recours à la fonction phallique d’où l’homme prend son inscription comme tout [4]. Ainsi, tel homme peut avoir le fantasme de faire jouir une femme à distance, un autre de penser que « toutes les femmes sont des pondeuses », ou des…
Un os
Dans L’Os d’une cure, J.-A. Miller indique un autre chemin, car il y a des « structures signifiantes du corps, côté mâle et côté féminin » [5]. Côté homme, il précise : « Je dis que la structure du tout x détermine nécessairement le partenaire-symptôme de l’homme à partir de a » [6], ce qui implique la forme fétichiste qui l’assigne à son fantasme, où il s’éclipse. Il constate via la passe, « les hommes ont d’abord à résoudre la question du fantasme » [7]. En effet, c’est l’analyse qui permet de dégager la position d’un homme de celle du machiste, voire d’une femme lorsqu’elle s’inscrit sous la bannière de pour tout x dont dépend la misandrie.
Des fantasmes
« [S]’il n’est pas de virilité que la castration ne consacre » [8], il reste, dit Lacan, « le texte même dont se formulent les symptômes des grandes névroses, des deux qui, à prendre au sérieux le normal, nous disent que c’est plutôt norme mâle » [9], comme l’illustre Esthela Solano-Suárez à partir de deux cas commentés par Lacan. « Le texte de son symptôme, observe E. Solano-Suárez, à propos du cas d’hystérie masculine, dit que Toute femme est une pondeuse, vérité menteuse donnant consistance à l’universel de La femme qui n’existe pas. » Elle ponctue : « Dans ces conditions la norme mâle énoncée dans le texte de son symptôme se laisse lire comme étant la fiction qui permet de “pourtouter” le réel du sexe, lequel à se supporter de pastoute est en revanche l’Hétéros “qui ne peut s’étancher d’univers”. » [10].
Le second cas est celui d’une femme obsessionnelle [11]dont E. Solano-Suárez saisit la misandrie par le texte même de son symptôme : « Tout homme est doté d’organes mâles, le Christ, Fils incarné est un homme, donc l’hostie où son corps présent a des organes mâles ». Ce que E. Solano-Suárez commente ainsi : « Nous pouvons alors considérer que selon le texte de son symptôme, d’une main elle s’attaque à l’homme tandis que, de l’autre elle soutient la norme mâle ».
Des hommes
Dans son exposé intitulé « Dégonfler la norme », Patrick Monribot demande « quelle logique vise à décompléter la norme mâle ? » Il aborde le fantasme où se joue la fonction phallique et l’objet a, à partir du leurre de « la jouissance de propriétaire » [12], développé par J.-A. Miller, qui suppose que sa jouissance à elle serait symétrique à celle de l’homme. La jouissance de l’idiot, de l’organe, masturbatoire, dans une dépendance exacerbée au fantasme ne fait pas tout face à la dissymétrie des jouissances dans un couple. Cependant, à ce problème universel, P. Monribot trace une solution singulière, la sienne, travaillée jusqu’à l’os dans sa cure. Dénudant « la structure de l’appareil de la jouissance » [13] côté homme via la traversée du fantasme, c’est la problématique du partenaire-sinthome qui surgit. À la place la question du lien à l’autre dans sa différence, une ouverture vers l’amour a lieu : « [Un homme] peut-il contribuer à un lien sinthomatique ? » De l’universel des hommes, qui vise à faire exister La femme, choit un homme avec une femme. C’est en laissant derrière lui ses prétentions de propriétaire que, dans l’amour, un homme accepte d’affronter l’originalité de la position féminine et de sa jouissance Autre « qui ne la fait pas toute à lui » [14]. Il n’y a pas de chemin universel – et ce, ni dans les fantasmes, ni dans leurs traversées. Il y a des hommes, comme il y a des Witz.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 24. Et cf. Miller J.-A., « Séminaire sur “Les Formations de l’inconscient” », Ornicar ? digital, publication en ligne.
[2] Ibid., p. 28.
[3] Monribot P., « Dégonfler la norme », intervention lors des « Nocturnes des J51. Couleurs d’hommes », 19 mai 2021, inédit.
[4] En référence à : Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 74.
[5] Miller J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin, 2018, p. 76.
[6] Ibid., p. 76-77.
[7] Ibid., p. 77.
[8] Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 733.
[9] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 479.
[10] Solano-Suárez E., intervention lors des « Nocturnes des J51. Couleurs d’hommes », op. cit., citant Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 467.
[11] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, op. cit., p. 449-496, et Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2001, p. 290-303 & sq.
[12] Miller J.-A., « Des semblants dans la relation entre les sexes », La Cause freudienne, n°36, mai 1997, p. 12.
[13] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 54.
[14] Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 466.