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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 217

Un effort d’élucidation

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Avec son livre Actualité de la haine, Anaëlle Lebovits-Quenehen pose un acte qui porte à conséquence, en trouvant une autre voie que celle de la dénonciation. En mettant l’accent sur la façon dont la psychanalyse permet de lire le symptôme haineux de l’époque, c’est l’effort d’élucidation qui est au travail. Si on le saisit d’emblée à la lecture, on le vit plus en-corps à écouter l’auteure en parler [1]. Une dimension nouvelle apparaît, celle de l’engagement et de la prise de risque qui lui est inhérente. Prendre position c’est prendre un risque, nous dit A. Lebovits-Quenehen. L’engagement relève donc de ce courage et de cette audace qui en passe par le fait de ne pas reculer devant l’impossible-à-dire. L’auteure nous enseigne que la confrontation à l’impossible est plus une occasion à saisir qu’une raison de ne pas y aller. Elle le démontre avec force, en mettant la focale sur la mémoire et les trous autour desquels elle s’ordonne, afin d’interroger ce qui se cache derrière les masques de la haine.

Nous avons été saisis par la rigueur avec laquelle A. Lebovits-Quenehen cherche à éclairer ce qui peut paraître inaccessible. Son effort d’élucidation a un effet de mise au travail pour ceux qui l’écoutent et cherchent à s’y retrouver dans le labyrinthe des paradoxes. Ainsi, apprend-on que la mémoire en psychanalyse est « ordonnée autour d’un trou […] trou structurel qui en constitue […] le cœur et la condition de possibilité » [2]. Ce cœur est un affect, précise-t-elle, il « y fait trou en même temps qu’il lui donne son caractère vivant, pourvu que la mémoire s’y adosse. […] on ne saurait [donc] avoir de mémoire que de ce qui nous touche, que de ce qui a inscrit une trace profonde dans notre vie de sujet, et cela jusque dans notre corps » [3]. Et elle précise que c’est « là que se marque d’ailleurs la différence entre Histoire et mémoire » [4].

On touche alors à un paradoxe qui concerne la transmission. Si la mémoire est rendue vivante du fait d’être trouée par l’affect, elle est par ailleurs intransmissible, car l’affect est par nature hors discours. À l’inverse : « Déprise d’affects, une période peut devenir objet d’histoire » [5] et objet d’une transmission. Cette distinction si fine nous permet de saisir en quoi la dimension intransmissible de l’évènement est aussi ce qui « le maintient vivant ». Ainsi, toujours quelque chose rate à vouloir dire l’évènement, et c’est justement ce ratage qui le fait vivant, car il laisse penser qu’on en fera jamais le tour. A. Lebovits-Quenehen en a livré un bel exemple en évoquant la singularité du Mémorial de l’Holocauste à Berlin. Ce lieu, marqué par l’absence, permet à la mémoire d’être suscitée. Ainsi, faut-il qu’une place soit laissée vacante pour que le souvenir puisse advenir et s’y loger.

En 1995, lors des soirées télévisées de commémorations de la fin de la seconde guerre mondiale, je découvrais, avec horreur et stupéfaction, le témoignage d’ingénieurs allemands expliquant l’invention des chambres à gaz et des fours crématoires. Lycéenne, les clés de lecture me manquaient, seul résonnait l’affect de dégout et d’incompréhension, avec une question laissée sans réponse : comment des hommes intelligents peuvent en arriver à inventer une machine pour tuer d’autres hommes ? Pendant longtemps, la célèbre formule de Willy Brandt « nie wieder », « plus jamais ça », est venue boucher la question en maintenant une position d’ignorance. Il faudra la rencontre avec un analyste pour réveiller le sujet endormi et découvrir les ressorts inconscients, seul antidote face à la haine. En 2020, la rencontre avec le formidable travail d’A. Lebovits-Quenehen a produit un affect de gaieté, particulièrement au moment où j’ai enfin saisi ce que le mot élucider veut dire.

[1] Lebovits-Quenehen A., « Actualité de la haine. Une perspective psychanalytique », conférence, séminaire clinique de Touraine, organisé dans le cadre des activités de l’ACF-VLB, Tours, 19 septembre 2020, inédit.

[2] Lebovits-Quenehen A., Actualité de la haine. Une perspective psychanalytique, Paris, Navarin, 2020, p. 66.

[3] Ibid.

[4] Ibid., p. 66-67.

[5] Ibid., p. 67.

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