Éditorial

Nous revoilà ! De retour de vacances très inédites pour nous tous, d’un été dérouté, secoué, ébouriffé par vents et précipitations diverses des 45es Journées de l’ECF, Jacques et Bernadette Chirac, Barack et Michelle Obama, Martine Aubry et Jacques Delors, Alexis Tsipras et Betty, accompagnés par Luc Garcia, Hélène Bonnaud, Pénélope Fay, Éric Zuliani, Alice Delarue… Pas de trêve cet été pour le Journal des 45e Journées ! La série politique s’est penchée sur les racines qui nouent quelques-uns des grands couples de notre monde contemporain. Savions-nous qu’au cœur de notre vacance nous seraient confiées des clefs détentrices de la recette du ciment de couples qui nous avaient ravis, surpris, ou révoltés ? Savions-nous que nous allions retrouver là, en ce premier septembre… Jacques Lacan ? Jacques Lacan lui-même introduit par Gérard Miller ? Si nous avions témoigné en juin du style nouveau adopté par nos Journées, avions-nous humé alors l’ampleur de ce souffle ?

Aujourd’hui s’ouvre encore dans votre Hebdo-Blog une page sur l’instant de la rencontre dans notre dossier. Oui, en l’instant, retrouvez La Princesse de Clèves, Madame de Chartres et son précieux dire fondateur, isolé pour nous par Marie Laurent : « les hommes sont infidèles et trahissent les femmes ».

C’est au troisième Rendez-vous clinique du CPCT-Paris, Équivoques de l’objet, avec Pierre-Gilles Guéguen, du 13 juin dernier, que vous serez conviés par la suite ; nous consacrons particulièrement cet HB à cette après-midi de travail. Qu’est-ce que parler d’objet en psychanalyse ? Comment cela oriente-t-il le traitement ? Lisez encore Célia Breton qui nous fait saisir combien le dispositif analytique peut permettre à un sujet de ne pas en rester au bon heur du sens établi et convenu, et acceptez l’invitation de Liliana Salazar-Redon, samedi 12 septembre à Ville-d’Avray, sur le couple patient-soignant, et avec Guy Briole.

Et si le carnage était au couple ce que le ver est au fruit et le bonheur au pré ?

Je cite ici Nathalie Georges-Lambrichs. Lisez-là en son rendez-vous fin juillet… avec Roman Polanski.

Bonne rentrée à tous !




Bal à la cour !

Mlle de Chartres a été prévenue par sa mère : les hommes sont infidèles et trahissent les femmes. Car les hommes sont volages : même s’ils en distinguent une, ils finissent toujours par les vouloir toutes… l’une après l’autre. En substance : tomber amoureuse, d’un amour réciproque, c’est risquer de déchoir un jour de cette position d’exception. La tranquillité d’une amoureuse n’est jamais garantie…

Elle se le tient pour dit et a donc accepté sans passion de s’engager à un homme qu’elle respecte et qui l’aime mais qui ne l’émeut pas. Son corps reste froid, il est, « si on peut dire, en retard sur elle-même », comme l’a écrit Philippe Sollers[1]. Au moins elle est certaine que du seul fait que cette passion lui manque à elle, M. de Clèves lui sera fidèle : la confrontation à la castration restera de son côté à lui. C’est d’ailleurs à nouveau ce qu’elle évitera, dans un choix politique digne de celui de Dora, avec le duc de Nemours, l’homme dont elle ne va pas tarder pourtant à tomber amoureuse…

Voilà donc, la princesse fraîchement mariée, jeune et belle à ravir, prête pour le bal que le roi Henri II donne au Louvre pour les fiançailles de Claude de France avec un prince de Lorraine. Mariée, tout devient possible à la cour de Valois pour une femme qui intrigue et veut s’amuser. Décidément à part, notre princesse, toute parée de sa vertu, vise l’Autre absolu qu’elle s’efforce donc de faire exister. Elle a entendu parler de ce grand séducteur devant l’éternel (ici le père du mythe, son rival) qui arrive tout droit de Bruxelles où il était occupé des affaires de l’État.

Chacun des futurs amants s’est préparé avec soin. L’heure est aux rubans, aux parures et aux grands noms. L’histoire d’amour évidemment a commencé avant leur rencontre, avec les mots qui la précèdent et le discours qui la soutient. La magnificence et la galanterie posent le cadre de la parade amoureuse. Mme de Lafayette use autant des superlatifs et d’hyperboles que de termes vagues, dans le style des Précieuses qui avaient tant horreur du trivial. Ainsi « le prince est fait d’une sorte qu’il était difficile de ne pas être surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu ! » Vraiment ! Et pourquoi donc ? On aimerait bien en savoir plus. Le récit du bal est la chronique Harlequin de l’époque, avec ses clichés inévitables de la rencontre amoureuse sur fond d’idéalisme précieux: le coup de foudre du séducteur qui n’a besoin que de paraître pour déclencher les soupirs de la belle, la beauté de ce couple exceptionnel, le murmure de louange qui s’élève dans la salle lorsqu’il danse. Il ne se passe pas grand-chose : quelques regards posés (l’objet dont Lacan nous a appris qu’il élude le plus la castration), un tour de piste sans un mot et les dés sont jetés. L’agalma est là sous leurs yeux : ils tomberont sous le coup de l’amour, dans le commencement d’un aveuglement qui ne cessera de s’approfondir. Car après cette irruption, plus rien ne sera jamais comme avant ! Pour l’heure, déjà Nemours se dévoile, la princesse minaude et le roi sert le destin…

Mme de Lafayette s’amuse-t-elle ? Ce fracas qui marque l’arrivée du prince, inutile et cocasse dans un moment qui porte en creux la tragédie qui se prépare, n’en témoigne-t-il pas ? Ne nous entraîne-t-elle pas subtilement à rire avec elle de ce coup de foudre qui finira mal, trop caricatural pour n’être pas railleur ?

Le roman a été publié de manière anonyme. « L’auteur n’a pu se résoudre à se déclarer : il a craint que son nom ne diminuât le succès de son livre », précise le libraire aux lecteurs. Toute sa vie, Mme de Lafayette semble avoir résisté, dans un dédain aristocratique, aux pressions qui la conjuraient à sortir de l’anonymat en signant ses récits. Elle n’a pas levé le secret même auprès de ses proches et a gardé jusqu’au bout un petit coin de bâillon sur la bouche, pour reprendre l’expression utilisée par Lacan à propos de son héroïne. Gageons pourtant, à voir comme elle s’amuse là et contrairement à la Princesse que la pulsion de mort, à l’œuvre dans toute rencontre amoureuse, ne l’aura pas, elle, entièrement recouverte !

[1] Sollers P., Éloge de l’infini, Paris, Gallimard, Folio 3806, p. 428-430.




Vers le « faire couple », une résonance

Interpréter le thème des J45, c’est en faire un usage.

C’est sous la forme d’une conversation que nous discuterons de la problématique soulevée par l’École : les liaisons inconscientes du « faire couple », le 12 Septembre à Ville d’Avray. Nous aurons pour thème « Le couple patient-soignant », et proposerons à ce thème une résonance dans le champ de l’institution psychiatrique. Quelles sont les conséquences lorsque la dite relation patient-soignant est promue, au détriment de la prise en compte de la causalité psychique en jeu ? Nous tenterons de saisir comment le clinicien peut rendre lisible sa place dans cette causalité en tant que partenaire dans cette modernité.

Cette 3e conversation en Île-de-France Ouest, nous permettra de mettre à l’épreuve, une fois de plus, la façon dont la psychanalyse permet à la psychiatrie de s’extraire d’une clinique de la gestion. Nous entendrons à quelles conditions il est possible aujourd’hui pour le « soignant » de lire la particularité du lien qu’il supporte.

Nous aurons le plaisir d’accueillir Guy Briole, qui fera avec nous l’exercice précédemment décrit, à partir des exposés de Pierre Ludovic Lavoine (Psychiatre à la Clinique de Ville d’Avray), Maria Brinco de Freitas (Psychologue à l’Hôpital Maison Blanche), Béatrice Bardet (Infirmière à l’Hôpital de jour pour Adultes de Ville d’Avray) et de l’Équipe éducative et pédagogique de l’Hôpital du jour pour enfants « Petit Hans » à Rueil Malmaison, avec Georges Haberberg, Directeur.

 

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La mort comme miroir réel de ce qui fait couple

En service de soins palliatifs, l’imprégnation de la signification mortelle pousse souvent les patients à une véritable ouverture du plus intime de ce qui les anime, faisant fi des résistances consacrées. L’offre d’écoute prend parfois son sens dans une sorte de processus accéléré de l’expérience de la parole où le franchissement de l’indicible trouve à se loger dans la dialectique de l’échange. Car, non sans angoisse, l’imposture structurante des semblants peut venir à se révéler dans un dernier sursaut.

C’est le cas de M. L. dont le discours se sera ouvert sous la forme de l’aveu pour se réduire à la culpabilité de ne pas avoir pris place à temps dans la dialectique du désir. Au-delà de l’angoisse de l’inconnu et de sa fierté paternelle mêlée d’inquiétude prédomine, lors de notre dernier entretien, le regret d’être resté aux côtés d’une femme pour laquelle toute forme d’amour avait disparu de longue date. Sans qu’il ne puisse parvenir à en préciser davantage les coordonnées, il s’agit avant tout pour lui du constat d’échec d’une relation antérieurement placée sous le règne de la signification phallique. Aussi, avoir pour femme la mère de ses enfants aura suffi à faire tenir un couple fondé sur le socle parental, mais ne suffira plus à satisfaire la vérité menteuse à l’orée d’une dernière parole.

Pour lui, l’échéance de la mort aura fait choir l’entité du couple à une pure contingence, hors-sens, venant révéler la supercherie de ce qui fonde une relation au jugement le plus implacable qui soit – à savoir le sien. Confrontée au manque-à-être, l’impossibilité à se soutenir des schémas imaginaires préexistants est alors venue asseoir la solitude comme reste de l’opération fantasmatique et partenaire solidaire de l’organisation subjective.

Dans son dernier enseignement, Jacques Lacan s’attache à se départir de la question de l’être au profit de l’écriture de l’existence permettant de réhabiliter le corps comme substance jouissante. L’atteinte corporelle engendrée par les pathologies lourdes prend donc place dans la série comme métaphore de la corporisation, dont le phénomène intrusif fait porter la marque. Si le donner à voir ontologique ne fonde rien du côté d’une garantie existentielle, le désêtre se constitue en ouverture sur le réel de l’existence. Il apparaît ainsi qu’évidé de l’autre spéculaire, l’habillage de la jouissance prend valeur de faux-semblant à mesure que le désir s’abîme dans le défilé des signifiants. Et cette entropie pulsionnelle conduit le sujet à se heurter à son symptôme propre tandis que la jouissance singulière s’exile radicalement de l’autre, mais pas nécessairement de l’Autre de la parole. Dans cette clinique, l’appréhension trop réelle du corps vient parfois révéler l’hégémonie de l’impossible rencontre des sexes. Il n’est pas de meilleur miroir que celui que convoque la destitution de l’Idéal – outil princeps de l’investigation subjective – mais dont les effets peuvent tenir lieu d’envers agalmatique.

Pour M. D., c’est la volonté de comprendre le fondement de la rencontre avec sa femme quarante huit ans plus tôt qui constituera un nouage permettant de réorganiser le lien de la pulsion au partenaire sexuel via la vérité dans sa quintessence fictionnelle.

Les symptômes énumérés prennent place de manière privilégiée au sein de la relation, au point de rompre tout dialogue possible avec son épouse et de nourrir des sentiments hostiles à son endroit. Les entretiens révèleront que la maladie aura eu pour fonction de précipiter des tensions apparues de manière concomitante au départ des petits-enfants dont ils avaient fréquemment la charge. Dans ce tête à tête devenu impossible, la rédaction d’une lettre personnelle portant sur le sens de la vie et des choix réalisés sera l’ouverture vers un premier questionnement. Au cours de nos rencontres, M. D. met l’accent sur la nécessité s’imposant à lui de se tourner vers des activités extérieures au domicile conjugal. Outre le signe d’une pulsion de vie lui réattribuant un statut social, ces activités deviennent également le lieu propice à de nouvelles rencontres. « On m’accueillait chaleureusement et on me portait attention », explique-t-il là où la signification nouvelle de son couple répondait du côté de la maladie et de l’assimilation de sa femme au statut d’infirmière.

Dans ce vacillement naissant, M. D. revendique son besoin de tendresse et d’attention et se saisit de ses sorties extérieures pour tenter de capter chez l’autre ce qui y répondrait. Selon un mouvement inconscient, il ne cesse de déclamer sa volonté « d’aller voir ailleurs » sans parvenir à entendre l’équivoque possiblement dissimulée ni à concevoir la jalousie de sa femme attisée un peu plus chaque jour. Sa demande première est que l’Autre sexe soit en mesure de l’écouter et de lui parler, éveillant par là une position désirante exigée pour faire écran à la réalité et brisant la dynamique pétrifiée de son couple – dissimulée sous la coupe d’un modèle d’union aux yeux des autres.

Érigée en principe universalisant, la parole séante contemporaine sacre l’icône du couple et vient sceller la représentation d’une mort digne tout en s’affranchissant de l’indice de la subjectivité. Aussi, se vouer au Souverain Bien pour continuer à croire au sens établi qui fait le lit de l’exclusion du sentiment de la mort engage le leitmotiv de nos sociétés dont la maladie incarne parfois le pendant hérétique. Car du fait de sa levée de l’écran soporeux du fantasme, la proximité avec la mort devient une invite à révéler l’idiotie d’une jouissance singulière et répétitive ou peut davantage encourager les sujets à renouer avec une fiction salvatrice. Dans le vacillement de la force inconsciente, les arcanes du sentiment vertigineux de l’être-à-deux se dénudent, venant dénoncer une combinatoire qui ne va pas de soi. C’est pourquoi la maladie peut se penser comme prisme révélateur des pantomimes de la relation amoureuse que tout un chacun s’applique à faire exister pour parer à la détresse de la rencontre toujours manquée.




Le Dieu du carnage de Yasmina Reza, interprété par Roman Polanski

Et si le carnage était au couple ce que le ver est au fruit et le bonheur au pré ?

Telle est sans doute la thèse ironique de Roman Polanski. Du titre de la pièce de Yasmina Reza dont il s’est inspiré, Le Dieu du carnage (créée en 2008 à Paris, à Broadway en 2009), il a laissé tomber « Le Dieu » pour ne garder que Carnage (2011, César 2012 de la meilleure adaptation) qui, du coup, se prévaut de la majuscule.

Ce huis-clos montre à la perfection le don qu’ont les bonnes intentions de déchaîner les pouvoirs mauvais du verbe.

  • Action: le couple des parents dont le fils a perdu deux dents dans un combat singulier avec un semblable a invité chez lui les parents du coupable, car il faut pardonner, n’est-ce pas ? Or, du pardon au parler, le pas va se révéler fatal : les parents de la victime ont à peine eu le temps de dévoiler leur abnégation et ceux du bourreau leur contrition, que les deux couples se choquent. Aussitôt les intérêts des deux fois deux, mais aussi des quatre fois un protagonistes reprennent du poil de la bête. Chacun chevauche celle-ci selon son naturel, les fauteurs de troubles demeurant hors champ.
  • Réaction: rien n’est chez chacun comme chez son voisin ou son partenaire : ni les goûts, ni les principes, ni les préjugés, ni les manières. Le point de discorde qui gîte au cœur de chaque couple a brisé le miroir que les bons parents tendaient aux mauvais, ceux-ci ayant échoué à rendre la pareille à ceux-là. Les alliances volent en éclats, les complicités s’inversent, chaque femme pleure ses idéaux piétinés par son jouisseur de mari, toutes les deux sourient quand l’un s’empêtre dans ses contradictions, et se tordent de rire quand l’autre est terrassé par la disparition du gadget qui fait sa raison d’être.
  • Conclusion: quand tout a été dit, ou presque, car Polanski nous laisse sur notre faim par une chute abrupte, surpris et honteux de désirer que ça en découse encore et encore sur cette scène purgative et drolatique, le film se clôt sur un couple aussi improbable que celui qui a été élu digne de l’affiche de nos journées : celui du hamster – lâchement abandonné et pourtant rescapé imprévu de cette tourmente – et du téléphone portable, qui a contre toute attente repris du service après l’immersion vengeresse dans un verre d’eau dont il avait été victime.

 




3e Rendez-vous Clinique du CPCT-Paris : Les équivoques de l’objet avec Pierre-Gilles Guéguen

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« Je suis un débile émotionnel »

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Une rencontre qui ne trompe pas

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Une performeuse

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