La transmission préoccupe les parents reçus au CPCT. Elle revêt différentes formes allant du souhait, spécifiquement humain, de perdurer au-delà de sa propre existence à la crainte d’induire des attitudes, des symptômes à la génération suivante. Là s’origine bien souvent la culpabilité des parents, animés du désir de bien faire, soucieux d’une transmission qui se voudrait idéale. Si certains pensent la transmission dans un déterminisme où la ressemblance se poursuit immanquablement d’une génération à l’autre, tel l’adage populaire « tel père, tel fils », en psychanalyse la transmission relève de cette mémoire propre à l’inconscient dans lequel se loge un malentendu fondamental. C’est pourquoi ce qui se transmet se fait souvent à l’insu du parent, n’est pas toujours ce qu’il croit et implique la décision inconsciente de l’enfant.
La transmission est une question insistante dans la vie de chacun, aux conséquences multiples. Ce dont on hérite peut faire l’objet de récriminations – « ma mère ne m’a pas appris à être mère » – ou se révéler un appui dans l’existence. Ainsi Sartre dans son autobiographie écrit : « Le beau geste du père l’avait marqué : il garda toute sa vie le goût du sublime et mit son zèle à fabriquer de grandes circonstances avec de petits événements » [1].
Si la transmission revêt une telle place, c’est que chacun a l’intuition ou a pu constater que la transmission de ce qui circule d’une génération à l’autre est constituante pour lui. L’interrogation sur la transmission, sa persistance, indique « qu’il y a toujours quelque chose à résoudre dans les liens familiaux, comme s’il y avait là quelque chose à comprendre, comme s’il y résidait toujours un problème non résolu dont la solution est à chercher dans ce que la famille a de caché » [2]. Ainsi, réside au cœur même de la transmission un secret. Car « la famille est essentiellement unie par un secret, elle est unie par un non-dit » [3], un secret sur la jouissance du père et de la mère, sur le rapport sexuel entre les parents, que la pièce de Cocteau, Les parents terribles illustre très justement. Quelque chose de la sexualité demeure un secret pour chacun et c’est un secret qui n’a pas de contenu. Car au-delà de l’énigme de la sexualité parentale, c’est la condition humaine elle-même qui est étrange : D’où vient-on ? Comment une rencontre entre un homme et femme se produit-elle ? Comment devient-on un homme ? Comment devient-on une femme ?, etc. Les identifications, les traditions et sagas familiales ne sont que des réponses pour appréhender les figures du réel auquel chacun a affaire. Ces figures sont multiples : la prématurité de la naissance, le réel de la procréation, celui de la différence des sexes, le réel de la jouissance maternelle, la réalité sexuelle, etc. C’est dans la famille que l’enfant apprend la langue à partir de laquelle il va traiter la rencontre avec le réel qui l’effraie.
L’enfant s’appuie d’autant plus sur la langue de l’Autre qu’il est « prodigieusement ouvert à tout ce que l’adulte lui apporte du sens du monde » [4]. « La famille, écrit J.-A. Miller, dans l’inconscient est primordialement le lieu où l’on apprend la langue maternelle ». L’enfant apprend lalangue familiale, elle affecte le corps, et c’est dans la façon dont lalangue a été parlée et entendue que réside la prise de l’inconscient, que réside l’incidence des relations familiales sur la formation des symptômes.
De cette opération langagière qu’effectue la rencontre avec un père et une mère, ou plus précisément, ceux qui occupent ses fonctions pour l’enfant, demeure toujours un reste non interprétable, non symbolisable. Ce reste irréductible fait de la famille le lieu d’une transmission toujours symptomatique et un lieu d’interprétation inépuisable. Car la transmission n’est pas affaire d’hérédité mais de contingence, de nomination et de désir.
[1] Sartre J.-P., Les mots, Paris, Gallimard, 1977.
[2] Miller J-A., « Affaires de familles dans l’inconscient », La lettre mensuelle, n° 250, 2006, p. 8.
[3] Ibid., p. 9.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 60.