Aimer le symptôme de son enfant
Frédérique Bouvet
Lors du dernier colloque du CPCT [1], notre invitée, Hélène Bonnaud, psychanalyste, membre de l’ECF, a souligné que la transmission passe par des identifications. Un père ou une mère idéalise la relation à son enfant. Chacun s’imagine être l’envers de son propre parent, que l’enfant, objet précieux, pourrait faire mieux là où lui a échoué. Comment l’enfant va-t-il ou non sortir de cette projection narcissique de son père, de sa mère, d’être celui qui viendrait réparer, combler un manque ? Et comment ces derniers vont-ils composer avec cet enfant différent de ce qu’ils avaient imaginé, qu’ils peuvent alors haïr ou être eux-mêmes rejetés ? « L’enfant va se construire avec ce qu’on lui donne » a pu nous dire H. Bonnaud et « ce qu’il repère chez ses parents ». Les nouvelles configurations familiales n’auraient pas changé grand-chose de ce point de vue. Ce qui compte, c’est comment un enfant va trouver ou pas à s’identifier au trait phallique de ses parents. C’est une affaire de discours, de jouissance et de choix du sujet. Avec la particularité qu’aujourd’hui, les fonctions de père, de mère sont souvent interchangeables.
Ces hommes, ces femmes ont peur d’être un mauvais parent et peuvent alors se demander avec angoisse et/ou culpabilité ce qu’ils transmettent à leur enfant. Et s’ils sont responsables de leur(s) symptôme(s). H. Bonnaud a mis l’accent sur l’accueil du symptôme et « de ne pas le voir comme un ennemi. Il faut aimer le symptôme de son enfant ». Il s’agit d’accueillir le dérangement. Le CPCT peut permettre à une mère ou un père d’opérer un changement dans la relation à son enfant et dans ce qu’elle met en jeu ce qui n’est pas sans interroger les relations que lui-même a eu avec ses propres parents. Il faut du courage pour venir consulter mais aussi pour être parent.
Le trauma contemporain fait aussi des ravages : « Dans certaines familles où à force de trop dire et de penser que l’enfant peut tout entendre et qu’il ne faut pas qu’il y ait de trou dans la transmission […] ça créé beaucoup d’angoisse chez l’enfant ». L’accès au numérique contribue aussi à combler ce trou. Si le malentendu est de structure, un parent transmet surtout ce qu’il peut à son enfant. « Tout parent traumatique est en somme dans la même position que le psychanalyste. La différence, c’est que le psychanalyste, de sa position, reproduit la névrose, et que le parent traumatique, lui, la produit, innocemment. » [2] Ce que transmettent les parents, c’est « la façon dont ils ont effectivement offert au sujet le savoir, la jouissance et l’objet a. » [3] Mais ce n’est pas finalement ce qui a été transmis le plus important mais l’effet produit et c’est toujours au cas par cas.
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L’abandon en miroir
Noëmie Jan
« Au CPCT, le parent venu parler de son enfant évoque très vite ses propres parents. Sa place de père, celle de mère, se conjugue à celle de l’enfant qu’il a été, jusqu’à dévoiler la place occupée dans le désir parental, ce qui a cloché ou se répète dans la filiation, les manques et interdictions mais aussi les aspirations et tout ce qui l’a mis sur la voie de son désir ».
Caroline Doucet, « Parents-enfant, ce qui se transmet » [4]
Ainsi, Diane, pour qui la séparation d’avec ses enfants s’avère impossible et dont on en perçoit l’indication dans une séquence qu’elle rapporte avec sa dernière fille de deux ans qu’elle allaite toujours et qui illustre le lien singulier qu’elle entretient avec celle-ci. Lorsqu’elle regarde la fenêtre, sa fille dit « peur », explique-t-elle. Elle livre alors à sa fille une interprétation de son énoncé à partir de sa place de mère mais non sans que la dite interprétation ne fasse écho à l’enfant qu’elle a été pour l’Autre. Elle répond à sa fille : « mais non, c’est ton reflet. Tu as peur que maman parte ». Le reflet de sa fille qu’elle perçoit, cette image, elle ne la lui reconnaît pas comme propre, car le reflet est associé au départ de la mère. Elle ne nomme pas un « c’est toi, tu es cet enfant » dont l’image dans le miroir se constitue par la reconnaissance d’un autre, à partir d’un point d’altérité. Au contraire, la peur que Diane impute à sa fille empêche plutôt une séparation des corps de la mère et de l’enfant. C’est une peur qui indique que le reflet comme point de séparation est déjà en un-trop, un point d’impossible pour Diane.
Cette vignette démontre qu’« elle ne sait pas se séparer de sa fille. Lâcher sa fille, c’est la perdre, l’abandonner » [5] – comme Diane l’a été elle-même. Elle qui pensait ne pas avoir à parler de son enfance, car elle considérait cette période résolue et sur laquelle il n’y avait pas lieu de revenir, pourra dire dans un moment d’effondrement l’injustice qu’elle éprouve liée au sentiment qu’elle a eu d’être laissé-tomber par sa mère quand elle était enfant.
Ce court exemple clinique fait écho à ce que Philippe Carpentier nomme « cette dimension d’objet rejeté dans le monde pour certains parents quand ils évoquent leur propre enfance et les conséquences justement quant à la transmission » [6]. Ici, Diane transmet – à son insu – à sa fille, son impossibilité de se séparer d’elle à partir de l’enfant qu’elle a été, c’est-à-dire, une enfant « abandonnée » par l’Autre maternel, comme elle le dit. Mais, c’est aussi parce qu’elle a pu se saisir de l’offre de parole qui lui a été faite au CPCT-parents, et à partir de cette nomination qui cerne son réel : « l’abandon », qu’elle pourra déployer les solutions singulières pour y parer et lui permettre de trouver de nouvelles modalités pour se séparer.
[1] « Parents-enfant, ce qui se transmet », colloque du CPCT-Parents, 8 décembre 2018, Rennes.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre xix …ou pire, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 151.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre xvi, D’un Autre à l’autre, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 332.
[4] Doucet, C., « Parents-enfant, ce qui se transmet », argument du colloque du CPCT-parents, 8 décembre 2018, Rennes.
[5] Bonnaud, H., « Parents-enfant, ce qui se transmet », intervention au colloque CPCT-parents, 8 décembre 2018, Rennes.
[6] Carpentier, P., Ibid.