
Retour sur ma pratique au CPCT
Dans un passage très intéressant du cours du 3 décembre 2008 de « Choses de finesse en psychanalyse » [1], Jacques-Alain Miller parle de l’inconsistance, non pas de l’imaginaire mais du symbolique, à partir de l’idée que l’inconscient ne connaît pas la contradiction (ce qui en fait un système inconsistant). Il dit aussi qu’il est impossible d’analyser et d’interpréter sans avoir rapport à cette inconsistance. J’ai retenu aussi cette phrase : « Chaque fois qu’on veut forcer le facteur temps, on s’oblige à un postulat de consistance, on se règle sur une consistance qu’il n’y a pas au niveau de l’inconscient. » [2] Il y a effectivement le facteur temps au CPCT, auquel on peut ajouter aussi pour nous le focus sur le signifiant « parent » qui produit une certaine consistance qu’on s’efforce de défaire au long des consultations.
Je crois qu’on peut dire que l’organisation du CPCT, avec tout ce qu’elle implique de cartels cliniques, de matinées cliniques, de journées d’étude, etc., en plus des contrôles que l’on peut solliciter, contribue à défaire un peu cette pente à la consistance (qui n’est pas qu’imaginaire) inhérente au principe même du CPCT. Elle le fait d’abord du côté du consultant : l’appel à parler des cas dans les cartels cliniques, à logifier les rencontres qui se font en vérifiant qu’une dialectique s’engage, en vérifiant les effets d’une intervention etc., fait déconsister l’idée qu’il y aurait du psychanalyste en soi – comme le disait Laurent Dupont récemment dans Campus de l’ECF [3], citant J.-A. Miller, « on n’est jamais psychanalyste, on ne fait que travailler à le devenir » [4]. L’organisation du CPCT le fait aussi du côté du patient : l’invitation à allonger le circuit de la parole, à partir de la plainte initiale, contribue à l’interpréter, et une interprétation qui porte subvertit le principe du temps limité.
Je dirais bien un mot du passage de A à B, – dont on parle souvent comme d’un « pari » –, qui était le thème de travail de notre cartel clinique. Dans ce passage, on tente de saisir, dans la demande initiale, un indice de ce qui pourrait venir la décompléter : ce peut être, dans le meilleur des cas, une question par exemple que le sujet se formule en A et que l’on invite à déplier en B, ou un point d’énigme qui surprend le sujet en A et dont on fait le pari qu’en B il pourra l’élaborer et le logifier. En tous cas, il me semble qu’en A il s’agit d’isoler un élément qui soit l’indice d’une possible dialectique, d’une possible ouverture et qui puisse défaire la fermeture de la consistance initiale. Il y a des cas que je n’ai pas passés en B justement parce que ce point n’apparaissait pas. Il s’agissait alors soit de poursuivre en A (de ne pas passer en B), soit de dire non à l’entrée au CPCT. Il y a eu aussi une personne que j’ai reçue en B et qui n’a pas voulu revenir me voir. J’ai l’idée que la consistance de sa plainte, qui avait été bien reçue en A, ne permettait pas une ouverture dialectique via le passage en B. Cela indiquerait que le passage de A à B est en soi un élément qui interprète la demande initiale, au sens où on fait le pari que le sujet va supporter cet appel au développement de la parole auprès d’un autre partenaire à partir d’un « ça veut dire quelque chose », c’est-à-dire qu’on mise sur le fait que le sujet va accuser réception qu’il porte en lui une part d’énigme qui est déjà un certain aperçu sur l’inconsistance du symbolique. C’est un appel à la parole sur fond d’absence d’une vérité toute et d’un certain vide de la référence. Le passage de A à B est un pari au sens où l’on mise sur le fait que le sujet est en mesure de supporter le point de vide qu’implique toute dialectique et d’en faire quelque chose.
Cette question de la consistance/inconsistance logique est un point qui peut être intéressant pour interroger la pratique singulière du CPCT, et en particulier le passage de A en B.
Jean-Noël Donnart
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[1] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 3 décembre 2008, inédit.
[2] Ibid.
[3] Cf. Dupont L., « Vérité, fake, certitude », Le Campus de l’École de la Cause freudienne, enseignement dispensé en 2022-2023.
[4] Cf. Miller J.-A., « Présentation du thème des Journées de l’ECF 2009 : comment on devient psychanalyste à l’orée du XXIème siècle », La lettre mensuelle, n° 279, juin 2009, p. 4.
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