
« Du parent au parlêtre »
Orientés par le réel
Il m’était resté du colloque des dix ans du CPCT-parents [1] cette formule de Jacques-Alain Miller : le CPCT est un lieu Alpha, « un lieu où le bavardage prend la tournure de la question, et la question elle-même la tournure de la réponse » [2]. C’est ce qui reste souvent, quelques formules.
La première interprétation est souvent une réduction, comme l’a indiqué Omaïra Meseguer [3]. J’ai fait l’expérience de la méprise qui opère. Les parents viennent chercher des conseils, arrivent souvent avec des signifiants du discours courant mais c’est avec l’orientation du dernier Lacan qu’ils sont entendus, comme parlêtres. Faire préciser, souligner, couper, pour que puisse s’entendre quelque chose de leur lalangue et de leur responsabilité. Si J.-A. Miller dit que les analyses commencent comme elles se terminent, le dernier Lacan trouve là son opérativité dès le début d’un traitement.
Mais les sujets que nous recevons n’arrivent pas toujours avec une question, c’est parfois leur trajet qui leur permet d’en formuler une, de traiter leur rapport à la langue pour dégeler des signifiants, introduire du malentendu. Encore faut-il que cet écart soit possible, ce qui est tout l’enjeu du pari fait en consultation A, mais qui n’est jamais garanti.
Un CPCT–parents
Que le CPCT à Rennes ait choisi d’être « parents » a été un choix politique de ses fondateurs, comme avait pu en parler Pierre-Gilles Guéguen lors d’une matinée. J’ai pu en mesurer la portée. Attraper un signifiant contemporain, tordre la parentalité, est déjà une interprétation. C’est un signifiant qui permet à certains de venir parler, là où parler en leur nom aurait été impossible. Philippe Carpentier, en cartel, avait sur ce point souligné que cela supposait déjà une séparation minimale, de venir parler de son enfant sans son enfant. Le dispositif écoute pendant le confinement l’avait confirmé. La plupart de ceux qui ont appelé, pris dans leur huis-clos familial, n’ont pas pu faire le déplacement au moment du déconfinement.
Quand un « parent » entre en traitement, il n’est pas rare que des effets se produisent sur leur enfant. Cette clinique ouvre évidemment à celle de l’objet a et de la jouissance. La « Note sur l’enfant » [4] a été remise sur le métier et le texte de Laurent Dupont, « Le fantasme et au-delà », propose des repérages précis. Dans la psychose, dit-il, le sujet peut venir « épouser en totalité une partie du poinçon » [5]. Je pense à cette patiente qui ne pouvait pas lâcher sa fille du regard, plus elle la regardait, plus celle-ci donnait à voir l’horreur de son fantasme à ciel ouvert, ce qui aura pu céder – un peu – sous transfert.
Un dispositif
Qu’il soit possible de venir parler en tant que parent requiert que nous soyons très attentifs aux impossibles du cas. S’orienter de la psychanalyse, c’est aussi cela. J’ai été marquée par une patiente qui ne s’était, jusque-là, jamais posé aucune question, la vie avait coulé. J’avais alors plutôt soutenu un circuit, sans pousser à une énonciation qui la mettrait au bord du trou.
Une autre formule m’est souvent revenue : « elle est dans le tableau » avait dit un plus-un en cartel à propos d’un cas. Il y a des sujets comme cela, qui sont dans le tableau, faute de l’extraction de l’objet a. Parler sous transfert peut leur permettre de se faire un petit point de vue.
La durée limitée interroge la fin des traitements. La plupart de ceux que j’ai reçus ne comptaient pas leurs séances. La comptabilité pouvait parfois se réintroduire en comptant une séance manquée mais, d’autres fois, souligner l’approche de la fin du traitement n’avait aucun effet. Comment allait se boucler le travail ? Fallait-il en A ne pas passer ceux dont on avait d’emblée l’idée que quelque chose ne pourrait pas se capitonner ? Probablement pas, mais il s’agit de savoir que, pour certains, cette comptabilité est impossible bien que la limite garde une fonction. Quoi qu’il en soit, le CPCT-parents est un dispositif qui ne suppose aucun protocole. La dimension de l’acte va avec celle de la surprise !
Pour conclure
Mon passage au CPCT comme consultante et dans l’équipe de direction a rendu plus vifs, et le sel de l’orientation analytique, et la dimension politique. Il m’a semblé essentiel que le CPCT-parents fasse circuler le discours analytique dans la Cité, à l’heure de la parole pour tous. Il y a les traitements bien sûr, le colloque en est un temps fort ainsi que le travail avec les partenaires et amis du CPCT. Il en résulte aussi pour moi un transfert plus solide vers l’ACF et l’École.
Sarah Camous-Marquis
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[1] Colloque du CPCT-parents, « Faire famille au XXe siècle », Rennes, 8 décembre 2017.
[2] Miller J.-A., « Vers Pipol 4 », Mental, n° 20, février 2008, p. 186-187.
[3] Meseguer O., « Une réduction peut faire interprétation », L’Hebdo-Blog, n°264, 14 mars 2022, publication en ligne (www.hebdo-blog.fr).
[4] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373-374.
[5] Dupont L., « Le fantasme et au-delà », Uforca, 7 avril 2017, p. 2, disponible sur internet, https://www.lacan-universite.fr/le-fantasme-et-au-dela/
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