
La puissance de la parole en acte
Dans un entretien sur « Les prophéties de Lacan » [1], Jacques-Alain Miller introduit le Un dans sa dimension tyrannique qui s’étend à « tous les champs de l’activité humaine ». « Et impossible d’y couper, poursuit-il, car la suprématie du ‘‘Un’’ provient du langage lui-même. Cette frénésie, Lacan l’assimilait à la pulsion de mort ».
Le bonheur serait ainsi promis par le droit à jouir du Un-tout-seul dont les accents surmoïques poussent l’être parlant à se faire objet du malaise. Les symptômes contemporains relèvent de cette logique du Un propre au modèle de l’addiction tel, par exemple, l’anorexie. La promesse du Un – la fameuse harmonie entre le corps et l’esprit – devient alors grimaçante et confine l’être parlant à son mode de jouissance mortifère. Le lien à l’Autre se délite tandis que le centrage sur l’objet produit l’angoisse et ses variantes.
Le CPCT met alors « à l’épreuve le réel qui fait souffrir, et retourne le discours du maître en discours de l’analyste qui n’est pas un discours de domination » [2]. Ainsi, dans certains cas, les signifiants sont comme gelés, fixes. Le « Un » gouverne mais désoriente. Le dépôt d’une parole, qui n’est jusque-là jamais advenue comme telle, auprès d’un Autre dans le lien transférentiel, peut permettre de les cerner. La constitution d’une nouvelle identification imaginaire, plus stable, et qui peut contrer les effets mortifères de la jouissance peut constituer un trajet. Ainsi, pour cette patiente déboussolée dans son lien à l’enfant, les séances au CPCT lui ont permis de nommer la fonction maternelle, de passer de la mère « cadrante » à la mère « aidante ». Ou encore celle-ci, qui trouve dans les diagnostics contemporains un allègement de sa culpabilité en tant que mère, ce qui l’ouvre à un savoir lui permettant de se dégager de l’impératif de perfection.
Dans d’autres cas, moins fréquents, les signifiants inconscients peuvent être mobilisés et rendre possible la mise en forme du symptôme. La mise en circulation de la parole permet d’activer les signifiants déjà là, mais refoulés. Ils trouvent à se nouer au signifiant « CPCT » qui peut devenir un lieu d’adresse et de supposition de savoir. Un transfert se noue à la psychanalyse, et un désir de savoir sur l’inconscient émerge.
Le CPCT peut se faire le relais de l’événement traumatique qui a produit une rupture, une cassure, un trou. Son offre est à chaque fois unique et inédite, réceptacle des signifiants les plus intimes d’un sujet. En ceci, le consultant orienté par la psychanalyse lacanienne sait, par le travail de sa propre analyse, se faire le lecteur discret mais éclairé de ce qui se répète, de ce qui insiste, au gré des contingences d’une vie. « En ce sens, le symptôme est ce que la psychanalyse a de plus réel » [3], énonce Jacques-Alain Miller. Le CPCT est un lien d’élaboration sur les symptômes contemporains et leurs effets sur les corps parlants ; sa visée est d’inventer à partir du trou. Ainsi, comme le mentionnait Lacan : « Ce n’est pas parce que le sens de leur interprétation a eu des effets que les analystes sont dans le vrai, puisque même serait-elle juste, ses effets sont incalculables. Elle ne témoigne de nul savoir, puisqu’à le prendre dans sa définition classique, le savoir s’assure d’une possible prévision. Ce qu’ils ont à savoir, c’est qu’il y en a un de savoir qui ne calcule pas, mais qui n’en travaille pas moins pour la jouissance » [4]. La psychanalyse touche à l’être, et ses effets, bien réels, ne sauraient être quantifiables. Le CPCT témoigne de la puissance de la parole en acte.
* Laetitia Jodeau-Belle est Directrice du CPCT-Parents de Rennes.
[1] Miller J.-A. « Les prophéties de Lacan », entretien, Le Point, 18 août 2011, disponible sur internet.
[2] Brousse M.-H., intervention lors de la soirée « Solitudes d’aujourd’hui. Réponses du CPCT », organisée dans le cadre du CPCT-Paris, 25 juin 2020, inédit.
[3] Miller J.-A., « Lire un symptôme », Mental, n°26, juin 2011, p. 49-58.
[4] Lacan J., « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Écrits », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 558.
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