
Éditorial : Le malaise dans l’intimité
L’expérience dans les CPCT témoigne que le malaise dans la civilisation contemporaine a pris bien d’autres formes depuis l’écrit de Freud. Pour autant il reste d’actualité et l’enjeu demeure le même : qu’il y ait à tout prix rapport sexuel !
Jacques-Alain Miller attire notre attention sur le fait que la psychanalyse freudienne a été l’une des réponses à ce malaise où il s’agissait de faire exister le rapport en mettant le couvercle sur toute jouissance : « La pratique freudienne a frayé la voie à ce qui se manifestait comme une libération de la jouissance […] et a anticipé la montée de l’objet a au zénith » [1], nouvelle boussole de la civilisation d’aujourd’hui.
Force est de constater que les réponses à l’effondrement de « la morale civilisée » et à « la dictature du plus-de-jouir » visent à rétablir le rapport sexuel : soit en remettant au goût du jour l’inconscient patriarcal ou en se calant sur le discours de la science qui donne l’illusion qu’en prenant le pouvoir sur les corps, « ça marchera ».
La rentrée littéraire nous invite à effleurer les nouveaux contours de ce malaise. En toute intimité, Alice Ferney [2] nous ouvre la porte de la demeure d’Alexandre et Alba. Celle-ci se revendique « no sex » et refuse catégoriquement de prêter son corps à la conception d’un enfant qu’elle désire pourtant ardemment. Elle ne veut se soumettre ni à la rencontre entre les corps ni au processus de gestation : « Toute femme a le droit d’être enceinte, et sans subir de contrainte sur la manière de le devenir » [3]
Ce couple passe donc un pacte au tout début de leur relation : il n’y aura aucune pénétration parce que « le sexe [d’Alba] n’est ni fourreau ni logis » [4]. Elle croit à la passion du rapport sexuel entre deux êtres à condition que le corps ne soit pas en jeu et que ce qui y touche soit réglé ailleurs, notamment par les moyens que propose la science.
Or ce que nous apprend la psychanalyse lacanienne, c’est que pour pouvoir faire un pas de côté par rapport au discours de la civilisation hypermoderne, il s’agit de donner toute sa portée au « ça rate ». Le symptôme, en tant que signe de ce non-rapport sera toujours le caillou dans la chaussure du discours scientifique quand bien même il souhaiterait tout codifier.
Sachons-en quelque chose, en toute intimité.
[1] J.-A. Miller, Conférence en Comandatuba. http://2012.congresoamp.com/fr/template.php?file=Textos/Conferencia-de-Jacques-Alain-Miller-en-Comandatuba.html. Texte paru dans Mental n°15 sous le titre « Une fantaisie »
[2] Alice Ferney, L’intimité, Paris, Actes Sud, 2020
[3] Ibid. p. 223
[4] Ibid. p. 190
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