Quelle est aujourd’hui la place dévolue à la parole de l’enfant et de l’adolescent dans les institutions et dans la cité, plus particulièrement dans les pratiques de soin, d’éducation et d’intervention sociale ? Quelle place pour la parole au temps du réductionnisme biologique, du new management des organisations publiques, du capitalisme et de la science comme discours dominants ?
À l’heure où la standardisation et la réification des pratiques pèsent de tout leur poids sur la créativité des cliniciens et des équipes, il apparaît nécessaire de repenser les modalités d’une conversation fructueuse entre psychanalyse et pédagogie.
Freud a toujours soutenu un intérêt particulier pour la question éducative [1].
Lacan s’est montré nettement plus critique à l’égard des éducateurs et des pédagogues, mais ces quelques coups de boutoir n’ôtent rien au sel des pratiques thérapeutiques, éducatives ou sociales qui s’inspirent de l’orientation lacanienne – à l’appui de nombreuses références dans les écrits et les Séminaires [2].
Il y a là un fil, une ligne de crête et des références à même de soutenir une dialectique fructueuse entre psychanalyse, éducation et clinique [3].
Il n’y a pas de pédagogie du sujet, mais la possibilité, voire la nécessité, d’une conversation fructueuse entre psychanalystes et pédagogues – une conversation, entre dialogue et malentendus :
1) Il y a la parole de l’enfant, l’écoute et la parole de l’enfant, puisque l’enfant se produit comme sujet d’un discours par le truchement d’une parole qui lui est adressée.
2) Il y a la parole et l’écoute – du psychanalyste d’une part, de l’éducateur d’autre part –, du moins dans l’idée que nous pouvons nous faire d’une éducation qui ne ferait pas tout à fait l’impasse sur la dimension de l’inconscient.
3) Ce qui distingue la psychanalyse de l’éducation, c’est la manière d’opérer à partir de cette parole – au sens logique voire mathématique du terme. Des opérations distinctes, pour des pratiques de parole qui diffèrent mais qui peuvent se répondre.
Ajoutons que cet art de la conversation emporte une dimension éthique et politique forte : embarqués dans La Cause des enfants [4], les enseignants, les éducateurs et les pédagogues sont en première ligne dans les pratiques de soin, d’éducation et d’intervention sociale, mais aussi dans les modes de résistance aux injonctions normatives et technocratiques qui traversent les métiers de l’humain et les institutions [5].
Des compagnons de route, en somme…
Sébastien Ponnou
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[1] Voir notamment la sixième conférence de Freud dans Freud S., Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984 ; ou sa préface à l’ouvrage d’Aichhorn, in Aichhorn A., Jeunes en souffrance. Psychanalyse et éducation spécialisée, Nîmes, Champ social, 2023. Pour une revue de ces questions, voir notamment : Millot C., Freud anti-pédagogue, Paris, Navarin, 1979 ; Blanchard-Laville C., Chaussecourte P., Hatchuel F., Pechberty B., « Recherches cliniques d’orientation psychanalytique dans le champ de l’éducation et de la formation », Revue française de pédagogie, vol. 151, 2005, p. 111-162 ; Filloux J.-C., « Psychanalyse et pédagogie », Revue française de pédagogie, vol. 81, 1987 ; Cifali M. & Imbert F., Freud et la pédagogie, Paris, 1998 ; Milhaud-Cappe D., Freud et le mouvement de pédagogie psychanalytique, 1908-1937, Paris, Vrin, 2007 ; Moll J., La Pédagogie psychanalytique : origine et histoire, Paris, Dunod, 1993.
[2] Ponnou S., Lacan et l’éducation : manifeste pour une clinique lacanienne de l’éducation, Paris, L’Harmattan, 2015.
[3] Cf. Ponnou S., Le Travail social à l’épreuve de la clinique psychanalytique, Paris, L’Harmattan, 2016.
[4] Cf. Dolto F., La Cause des enfants, Paris, Laffont, juin 2011.
[5] Cf. Ponnou S. & Niewiadomski C. (Eds.), Critical Psychoanalytic Social Work : Research and Case Studies for Clinical Practice, London, Taylor & Francis, 2022.