Comment faut-il élever son enfant ? On dirait aujourd’hui : comment faut-il gérer son enfant ? Les méthodes éducatives, leurs controverses, ont toujours tenté de guider les parents dans cette tâche. Tel le mythique Émile ou de l’éducation de Jean-Jacques Rousseau qui propose des principes éducatifs en rupture avec son temps : l’enfant possède sa propre évolution mentale et sa propre liberté. Rousseau prône une éducation qu’il qualifie de négative. Elle repose sur les propres expériences de l’enfant sans préjugés aucuns. Elle préconise que l’éducateur intervienne le moins possible, à l’opposé d’une éducation dite positive qui modèle l’esprit de l’enfant.
L’intérêt de l’enfant qui fait désormais consensus dans le monde de l’éducation est sans doute un héritage rousseauiste. Cela étant, les idéaux liés à l’enfance qui s’expriment dans les modes éducatifs, transmis dans les discours, prennent couleurs du temps. La question de la position parentale ne se résout plus guère selon le dogme patriarcal et ses discours. Elle accentue les interrogations sur ce qui se transmet à l’enfant. Infans – qui veut dire celui qui ne parle pas – voue ce petit d’homme, né prématuré, à des attentes qui n’existent que sur fond du malentendu foncier de l’être parlant. C’est ce dont aucun sujet ne peut s’extraire.
Les enfants d’hier comme d’aujourd’hui continuent d’affoler ceux qui s’en occupent. C’est l’en-trop de jouissance des enfants agités, enfants tyrans, enfants ingérables ou TDAH qui désemparent les parents actuels. Une nouvelle bataille éducative faire rage sur la façon de traiter ces comportements souvent jugés transgressifs.
D’un côté, il y a les tenants de l’éducation positive qui est le retour à nouveaux frais de ce que Rousseau qualifiait d’éducation négative. Mais, désormais, elle est justifiée par des études en neurosciences affectives et sociales, qui font du cerveau le siège majeur des émotions. Les parents doivent déconstruire leurs réflexes éducatifs pour apprendre à l’enfant, avec bienveillance, sans cris ou punitions, une autodiscipline et retrouver de surcroît le plaisir d’élever leurs enfants. De l’autre côté, ses détracteurs, adeptes des limites comme le time-out ou le mettre au coin d’antan, dénoncent l’éducation positive qui serait intolérante à la frustration. L’éducation positive révèlerait la puissance de la demande éducative parfois impérative, non sans effets sur l’enfant.
La psychanalyse lacanienne prend aussi position dans le champ de l’enfance. Si Rousseau fut précurseur en faisant valoir la liberté de l’enfant, c’est Lacan qui lui donne une dimension particulière. Daniel Roy rappelle qu’elle traverse l’œuvre de Lacan quand il parle de l’enfance. Contrairement aux impératifs de l’éducation positive ou pas, elle fait de l’enfant celui qui prend position. Ainsi D. Roy écrit : « Lui-même objet jeté dans le monde, fragile, à la merci de toutes les rencontres, l’enfant puise dans cette condition même les ressources qui lui permettent, dans […] la famille en premier lieu, que s’instaure “un rapport fondé à la liberté”. » [1] La liberté est cette mise faite sur la position de parole de chaque enfant. Le psychanalyste est dès lors attentif à accueillir ce trop, ce qui cloche, ce qui dérange l’adulte, pour lire ce qui fait symptôme pour l’enfant. C’est la leçon de Lacan, et elle nous oriente.
Martine Versel
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[1] Roy D., « Lacan et l’enfant », La Cause freudienne, n° 79, octobre 2011, p. 250.