L’hôpital de jour de Gonesse se situe à l’emplacement même où s’érigeait en 1208 le tout premier Hôtel-Dieu de la ville, bâti derrière l’église Saint-Pierre-Saint-Paul pour s’occuper des pauvres et des nécessiteux. Marquée par le poids de cette histoire, cette institution psychiatrique traversée par l’histoire de la folie produit et véhicule, « au sens le plus élevé du terme d’Institution », ce que l’on peut appeler un « savoir sans sujet ». C’est par un effort sans cesse renouvelé que l’équipe soignante tente de « [faire] oublier [cette] détermination institutionnelle » et d’ouvrir une « clairière dans [son] fonctionnement » afin d’accueillir le sujet aboli et détaché de ce savoir.1
Comment rendre l’institution plus souple ? Comment arriver à la « tordre comme une bande de Moebius2 » pour que puisse s’y loger le désir d’accueillir la parole du sujet effacé ?
Le dispositif Culture à l’hôpital a été l’occasion d’inviter des artistes locaux à rencontrer des patients. Exposées dans la Cité, les œuvres qui en découlent contribuent à déstigmatiser la folie. Dans ce cadre, Sébastien Coupy, artiste vidéaste, a proposé aux patients qui le souhaitaient de « vider leurs poches » et de filmer les objets au moment de leur dévoilement, tout en suscitant la parole autour de ceux-ci.
C’est ainsi que l’artiste a porté son attention sur Marie-Cécile. Patiente dite « chronique », celle‑ci se présente toujours avec des sacs remplis d’objets, extensions de son propre corps. Selon les dires institutionnels, elle les récupèrerait dans les poubelles. On y aurait même trouvé un pigeon mort. Durant de longues années, les équipes soignantes se sont plus intéressées à la réduction du volume des sacs qu’à leur contenu. L’équipe a d’abord été réticente à l’idée d’exposer cette patiente au projet du vidéaste mais, devant l’insistance de l’artiste, le médecin psychiatre a finalement accepté, à condition d’être présent et de se faire le garant du respect de la patiente.
Devant la caméra, Marie-Cécile ouvre un premier sac. Elle dévoile une photographie de « son chien », découpée d’un magazine et collée sur un carton, mais aussi une maraca conçue au moyen d’une bouteille en plastique et de cailloux ramassés lors d’une sortie organisée par l’hôpital de jour, un piano en carton qu’elle a créé et sur lequel elle joue quelques notes de musique, un lecteur CD, un sifflet… Le sac regorge d’objets sonores dont elle raconte avec enthousiasme l’acquisition ou la fabrication. Marie-Cécile joue de ses instruments devant la caméra, révélant un désir et un intérêt pour la musique ignorés de tous.
Le déballage fait déborder le cours du discours institutionnel, jusque-là trop figé. Le dispositif subversif de l’artiste a dévoilé le discours sans sujet qui pesait sur Marie-Cécile. Depuis la projection du film, le regard de l’équipe, de la famille et des autres patients n’a plus pu être le même.
Porteur d’un nouveau regard, l’acte artistique a conduit au déplacement des récits, des croyances et des savoirs sur les patients. Poussé par le désir d’unir au savoir un sujet, le projet culturel a ainsi provoqué une torsion dans l’institution.
Ana Inés Vasquez
[1] Laurent É., « Acte et institution », La Lettre Mensuelle, n°211, septembre 2002, p. 26.
[2] Biagi-Chai F., « Tordre l’institution », Quarto, n°84, juin 2005, p. 67.