Dans le contexte d’une réunion d’« analyse de pratiques1 », un signifiant advient : Cariatides. Ce logiciel, auquel la petite équipe de soignants d’un hôpital de jour doit désormais se tenir pour rendre compte de son travail, vient nommer leur malaise. Loin de se réduire à un simple changement d’outils, l’injonction de laisser tomber les dossier papiers et les cahiers de transmission au profit du logiciel porte atteinte à quelque chose d’essentiel. Quoi donc ? La conversation leur permettra de l’isoler. Avec le logiciel, il n’est question que d’objectifs préalablement établis dont on se limite à signaler la réussite ou l’échec à la fin de l’atelier ou de l’activité. Il est donc un outil d’évaluation. Pas de place aux effets inattendus, pas plus qu’à la surprise, pas de place à l’imprévu alors que ces soignants savent que c’est justement là que se loge le cœur de leur pratique avec des adolescents psychotiques.
Quelques mois plus tard, cette équipe trouvera la manière de remettre sur le devant de la scène ce que Cariatides avait forclos : invitée à intervenir dans le contexte d’un colloque, auquel allaient assister également plusieurs autres services de santé mentale ainsi que la direction de l’hôpital, cette équipe s’est mise au travail de création d’un spectacle de rap et slam. Loin d’une simple dénonciation du joug qui tombe sur les services de psychiatrie, c’est en faisant résonner des bouts de langue, des phrases hors-sens des patients que cette équipe chantait, disait ce que sa pratique a de plus humain, ce qui ne peut s’évaluer. Cet original rappel adressé à un tel public a fait mouche : il en a été touché, bouleversé, certains même émus aux larmes. L’équipe a été invitée à refaire le spectacle face aux cadres de tout le secteur.
Face au maître de l’évaluation, l’invention s’avère une forme de résistance.
À l’heure où les technocraties sanitaires annoncent la disparition des institutions au prétexte qu’elles seraient nocives pour les sujets de droit qu’elles accueillent, et que pour cela elles soutiennent un discours prônant l’épuisement des professionnels du secteur, L’Hebdo-Blog a souhaité ouvrir ses colonnes à une réalité qui, si elle est moins bruyante, n’en est pas moins réelle et percutante. Il est des lieux qui accueillent des parlêtres ainsi que leurs constructions. Ces lieux, à géométries variables, entretiennent avec le discours analytique un lien qui leur sert d’orientation, à partir de quoi se recueillent des productions, aussi infimes soient-elles, qui non seulement représentent le sujet, mais le soutiennent dans un élan vital.
Adriana Campos et Hervé Damase
[1] Les « analyses de pratiques professionnelles » sont des réunions de supervision d’équipe avec un intervenant externe au service.