Elle a pris rendez-vous, orientée par son médecin traitant, car elle se dit triste et déboussolée. Lors du premier entretien elle m’apprend qu’elle en a « marre » de ne pouvoir établir une relation amoureuse stable dans la durée : « Je tombe toujours sur des hommes cassés à réparer ». De fait, elle répare aussi les hommes cassés qu’elle rencontre dans la salle d’attente.
À l’issue du troisième entretien, elle prend sur mon bureau le feuillet A4 qui présente les journées à venir de l’ECF : « Faire couple ». La fois suivante elle me dit qu’elle en a lu le contenu, qui lui semble quelque peu énigmatique : « Si les gens parlent comme cela pendant ces journées je ne vais pas comprendre grand-chose ». Cependant un terme a retenu son attention dans les axes thématiques en quatrième de couverture, il s’agit de « Faire, défaire, refaire ». Elle s’arrête un instant et enchaîne : « mais finalement c’est ce que je fais moi, sans arrêt, je fais, je défais, je refais ». « Est-ce pathologique alors ? », me demande-t-elle. Je lui réponds qu’il arrive qu’à notre insu quelque chose dans notre vie se répète et qu’il est possible de travailler sur ce qui motive cette répétition.
« Il est aussi écrit, ajoute-t-elle, que l’on aime toujours le même homme, même si ce n’est pas le même ». Je vérifie à posteriori dans le feuillet ; ce n’est pas écrit ainsi, c’est elle qui l’a lu.
« C’est vrai poursuit-elle, mes hommes sont les mêmes, ils sont alcooliques », puis elle se reprend et ajoute, « non, ils sont fragiles ». Elle aime donc la fragilité de l’homme. Pourquoi ? « Parce que je n’ai pas confiance en moi, alors si je choisi un homme fragile cela me rassure et je me sens exister en l’aidant. Mais au bout d’un moment je m’use, je donne tout et il n’y a rien en retour. De toute façon, on ne peut pas changer les gens. S’ils ne font pas l’effort eux-mêmes de s’analyser, comme je le fais moi ici, cela ne marche pas ».
Lors de cette séance elle se dit soulagée. « Que me conseillez-vous de faire alors ? Quand dois-je revenir ? Dois-je faire un break ? »
Je l’invite à revenir puisque les choses commencent à s’éclaircir. « Oui, vous avez raison, on ne peut pas s’analyser toute seule. Mais c’est ma mère qui m’a demandé combien de temps cela allait durer. »
« Je me souviens… vous m’aviez dit : “on sait quand cela commence mais on ne sait pas quand cela s’arrête” »… En effet, nul ne sait combien de tours des dits seront nécessaires à l’extraction de l’objet cause.
Ainsi sur cette Autre scène, celle déployé dans le transfert, l’embrassement des deux tores constituera la topologie du faire couple avec l’analyste.
Ici le ressort dont il s’agit, nous indique Lacan dans le séminaire l’Identification[1], est le croisement entre le désir et la demande. Je le cite : « S’il y a […] quelque chose à quoi […] le névrosé s’est laissé prendre, c’est à ce piège, et il essaiera de faire passer dans la demande ce qui est l’objet de son désir, d’obtenir de l’Autre, non pas la satisfaction de son besoin […] pour quoi la demande est faite […] mais la satisfaction de son désir, à savoir d’en avoir l’objet, c’est-à-dire précisément ce qui ne peut se demander. »
[1] Lacan J., Le Séminaire, Livre IX, « L’identification », leçon du 14 mars 1962, inédit.