Hélène Bonnaud répond aux questions de René Fiori et de Stella Harrison
René Fiori – Dans une analyse l’effort de l’analysant pour rejoindre le lieu de son désir, porté par le transfert, peut laisser des postes libidinaux corporels verrouillés : la persistance du symptôme de frigidité de Noria après la fin de l’analyse, ou la solution du couple parental à défaut de couple conjugal pour Alice et son mari. En quoi le désir de l’analyste permet-il cette appréciation dans sa décision d’entériner la fin d’une analyse ?
Hélène Bonnaud – En matière de sexualité, je ne vous l’apprendrai pas, l’analyse ne garantit pas de résultats thérapeutiques… La rencontre sexuelle est toujours sous le sceau du ratage. On peut obtenir une jouissance dans la rencontre avec le corps du partenaire, mais on peut aussi s’en tenir éloigné et préférer, comme dans le cas de Noria, faire de ses fantasmes sexuels des trouées de satisfaction. Quant à Alice, si la solution de la maternité semble recouvrir pour elle la question de la féminité, elle lui a permis de s’autoriser à être mère et à avoir une famille, ce qui n’était pas à l’horizon de sa vie. L’analyse a fait d’elle quelqu’un de nouveau, comme elle le dit, et son travail se poursuit.
Lorsqu’un sujet décide de mettre fin à son analyse, l’analyste ne l’entérine pas forcément. Selon les cas, il donne son avis ou s’abstient de le donner, ce qui n’est pas la même chose que d’entériner. Certes, la décision revient à l’analysant. Lacan a eu cette phrase qui est à méditer : « quand l’analysant pense qu’il est heureux de vivre, c’est assez »[1]. Il faut accepter qu’il y ait des fins d’analyse où le « c’est assez » indique un point de satisfaction de l’analysant.
RF – De nos jours, l’angoisse (cf. Flora, p. 110) est-elle plus souvent qu’autrefois la porte du salut pour le sujet, au regard des jouissances permises et de sa dépendance à leur emprise ?
HB – Oui, l’angoisse a cette fonction d’avertissement qui provoque chez le sujet une division. L’angoisse ne trompe pas, dit Lacan, et, à ce titre, c’est un symptôme qui a une fonction intéressante, celle de mettre en alerte le sujet sur ce qui lui arrive. C’est souvent elle qui est au départ d’une demande d’analyse. L’angoisse prend sa racine dans le corps. Elle est sans doute ce qui définit le mieux le parlêtre tel que Jacques-Alain Miller en rend compte : « Le parlêtre, c’est celui qui, de parler, superpose un être au corps qu’il a »[2]. Dans le cas de Flora qui est un sujet qui n’a aucune limite, l’angoisse peut être qualifiée de salut, mais le vrai salut, c’est le rendez-vous avec l’analyste, ce partenaire qui l’oblige, si je puis dire, à entamer cette jouissance obscure de se foutre en l’air, en venant parler d’elle en analyse.
Stella Harrison – Je vous cite, pages 120-121 : « La psychanalyse n’a pas de réponse médicale sur la question des maladies. Et pas non plus sur celles que l’on nomme « psychosomatiques », terme qui s’emploie pour indiquer la prégnance de facteurs psychiques dans l’apparition des symptômes corporels. »
Il me semble que le signifiant « psychosomatique » est assez absent dans votre livre. Pouvez-vous nous dire un mot sur ce point ?
HB – Ce livre n’a pas pour objet le corps malade, le corps affecté par une maladie organique, qu’elle soit diagnostiquée comme telle ou pas. C’est pourquoi vous ne trouverez pas de réponse psychanalytique qui fonde une théorie sur la causalité de l’irruption d’une maladie dans la vie d’un sujet. Il y a toutefois deux cas qui éclairent cette question dans le chapitre « Lésions », qui dit bien qu’une lésion n’est pas un événement de corps mais l’apparition d’un bouleversement dans la vie d’un sujet dès lors qu’il saisit que son corps est le siège d’une maladie. Il s’agit d’un réel sans loi, d’un réel hors sens. Cela n’empêche pas que chacun veuille se construire une causalité pour border le trou du réel, et cela est très important pour accepter la maladie, s’en défendre. Dans tous les cas, je n’ai pas voulu traiter de la place du corps malade dans l’analyse, mais du corps affecté par la parole, même si cela peut produire des symptômes qui relèvent de la science médicale. Certes, la médecine a appelé maladies psychosomatiques toutes les pathologies dont elle n’a pas réussi à trouver l’origine. C’est une définition qui me semble très réductrice, et dont nous ne pouvons pas dire grand-chose en tant qu’analyste. Par exemple, certaines maladies de peau sont toujours dites « psychosomatiques » car elles sont marquées par l’apparition et la disparition sans qu’on en saisisse la cause, ce sont des manifestations qui souvent surgissent à des moments précis de la vie du sujet, comme si le symptôme venait rappeler un événement traumatique, ou commémorer le souvenir d’une jouissance ignorée du sujet.
Lacan s’est intéressé à la psychosomatique et il a donné quelques pistes pour comprendre la façon dont certains sujets souffrent de maladies dont la médecine ne reconnaît pas les facteurs étiologiques. Il a notamment indiqué qu’entre S1 et S2, il y avait un blocage, un gel de l’articulation signifiante. Les signifiants ne circulent pas, ils sont figés, bloqués, marquant une certaine immobilité de la pensée, chez le sujet. Alors, bien sûr, on ne peut que se poser la question de la structure : névrose, psychose, et surtout psychose ordinaire qui, à cette époque, n’avait pas trouvé sa place. Ces questions de structure ont été très prégnantes pour différencier l’hystérie et son symptôme qui parle du corps, et le sujet psychosomatique dont le symptôme ne parle pas, mais fait trou dans le corps.
Or, dans ce livre, j’ai choisi de ne pas tenir compte des catégories cliniques pour orienter le choix des cas présentés. Comme vous le voyez, les chapitres sont ramenés à des signifiants de l’actualité, du quotidien, et non à des symboles de la clinique psychiatrique. C’est un choix délibéré pour montrer qu’il s’agit de psychanalyse c’est-à-dire d’un discours détaché de l’ordre psychiatrique, mais proche de ce que J.-A. Miller appelle « une déclaration d’égalité clinique fondamentale entre les parlêtres »[3].
Cette formule saisissante me permet de saisir pourquoi, en effet, dès lors que l’analyse n’est plus orientée vers la vérité en tant qu’objet plein, objet plein de sens, mais vers le réel qui s’attrape par la jouissance, la psychosomatique n’est plus un registre fondamental.
[1] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet n°6-7, Seuil, 1976, p.15.
[2] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 25 mai 2011, inédit.
[3] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, Paris, Navarin, n°88, 2014, p. 113.