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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 229

« Mado est malade »

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Les « ou », les « an », les « in, ein, ain »… un lent décodage, des bouts de mots hors sens qui s’accrochent à d’autres et fabriquent du sens.

Le sens ! Quelle merveille quand on a cinq ans !

Nous avons cinq ans [1], était le titre du manuel par lequel certains enfants des années soixante entraient dans la lecture à l’école.

D’emblée, on s’empressait d’aller regarder les dernières pages, celles qui promettaient une véritable histoire, plus intrigante que « Mado est malade » parce qu’elle a trop mangé… phrases insipides du début de l’apprentissage. La dernière histoire était celle d’une galette – objet oral – qui, mise à refroidir sur le bord d’une fenêtre, s’élançait dans la nature en roulant à vive allure.

L’objet a est là dès le début et il s’échappe à la fin. Ou plutôt la lecture et l’écriture viennent le recouvrir, le voiler encore, l’habiller de sens. Quelque chose est d’emblée perdu, car cet objet si puissant, d’être représenté, d’être à lire, s’éloigne un peu plus, sans pour autant perdre de sa puissance, au contraire !

La galette roule, ivre de liberté, persuadée qu’elle peut échapper à son destin d’objet : se faire bouffer. Je vous laisse deviner la fin…

On entre en analyse parce que « Mado est malade ». Elle est malade de trop de sens, elle en a trop avalé et surtout, elle en a trop fabriqué. Pourtant, entrer en analyse peut ressembler à ce moment magique où nous avons ouvert le livret qui nous a appris à lire.

Chacun y apprend à lire autrement : ses rêves, ses lapsus, ses oublis, ses bévues, ses pensées absurdes qui surviennent en séance et sur lesquelles on bute au début, parce qu’elles nous déroutent ou indiquent un point de honte.

On quitte le sens en douceur, pour en explorer… un autre. Mais le sujet ne sait pas encore qu’il s’engage dans un rebroussement qui peut l’amener au point où le sens s’efface.

Pas de manuel pour apprendre à lire l’inconscient… Les interprétations de l’analyste viennent stimuler les lents – très lents – progrès de cet apprentissage. Il vient aussi accompagner l’ivresse que procure la lecture balbutiante, un peu la même que celle qui, le matin au petit déjeuner, nous faisait déchiffrer, dans un instant jubilatoire, tout ce qui était écrit sur la boîte de cacao. Au fond, le sens n’avait pas tant d’importance, c’était la simple joie de lire qui s’éprouvait. Ainsi peut-on s’enivrer de ses propres interprétations et de sa propre lecture. Jusqu’à un certain point.

Apprendre à déchiffrer le monde, c’est œuvrer à le chiffrer, encore et encore. Lire et écrire participent de ce travail de chiffrage qui donne une allure familière au monde qui nous entoure. Mais lecture et écriture ouvrent secrètement une brèche dans la clôture du sens. Parce qu’il y a le sens, il y a, quelque part, un insensé, un point hors de tout sens. Le point où l’inépuisable de la lecture de nos symptômes et de la ribambelle des formations de l’inconscient s’épuise pourtant.

Nous entamons donc ce trajet, souvent laborieux, non pour désapprendre, mais pour tomber sur le point d’illisible sur lequel s’est forgée l’existence.

« Le lisible, dit Lacan, c’est en cela que consiste le savoir » [2]. On fait une analyse pour en savoir un peu plus. Et, de fait, un savoir se dépose pas à pas. C’est un savoir vacillant, fait de trébuchements, d’incertitudes, d’envolées fructueuses, traversé d’éclairs fulgurants, un savoir presque intransmissible. C’est un savoir qui ne s’ajoute pas à tout ce que nous avions déjà appris, et que nous pensions solide, mais plutôt un savoir qui déleste. C’est un savoir qui s’appuie sur un non-savoir – Je ne sais pas de quoi je souffre – et qui aboutit à une fin de non-recevoir. Toute attente d’un savoir en plus est déçue. Plutôt peut surgir l’occasion de tomber sur un presque rien, un rien du tout, qui n’est quand même pas rien, puisqu’il est ce sur quoi tout le savoir s’est échafaudé.

Un savoir réduit à son expression nodale : c’est ça !

C’est écrit, mais ça ne peut pas se lire…

[1] Davesne A. & Meymi M., Nous avons cinq ans. Syllabaire, livrets I & II, Tours, Barcla, 1961.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 10 janvier 1978, inédit.

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