
Éditorial : De ce qui se dit à ce qui se lit
Dans l’expérience analytique, il s’agit du dire. De s’arracher des dires de plus en plus réduits. De passer du roman à la réduction. Du récit au poème. D’une prise de distance de la sémantique pour s’approcher davantage de la grammaire [1]. Au fil de l’analyse les mots ne dansent plus en produisant des effets de sens. Grâce à la coupure, ils s’isolent un à un. Fini la « gonfle imaginaire » [2] qui amène vers une infinitisation du sens. Une fois dégagés du festival de la narration, les mots se détachent jusqu’à devenir des restes. Des restes maniables.
Dans son texte « L’étourdit » Lacan souligne qu’en ce qui concerne l’usage de l’équivoque dans l’expérience psychanalytique, « tous les coups sont […] permis » [3]. Tordre et retordre les signifiants pour extraire la sève jouissante qui circule dans leur enchaînement. Lacan avertissait les psychanalystes : attention à ne pas se cramponner « au garde-fou de la “psychologie générale” » [4], lisez les cas « dans leur grammaire » [5]. S’il le dit en ce qui concerne la lecture des cas de Freud, cet avertissement vaut pour chaque cas et pour le cas de chacun. L’analysé « résulte de l’analysant » [6].
Lacan souligne que « l’amorphologie » [7] de lalangue ouvre à la possibilité d’un usage hors sens pour faire un passage « du dit au dire » [8]. Et le dire se lit. Le « savoir-lire […] complète le bien-dire », note Jacques-Alain Miller dans une conférence-boussole qui a pour titre : « Lire le symptôme » [9]. Bien-dire et savoir-lire sont articulés. Si le bien-dire se lit, c’est parce qu’il s’écrit.
De ce qui se dit à ce qui se lit. « Le savoir lire vise ce choc initial, qui est comme un clinamen de la jouissance » [10]. Un évènement de jouissance déterminant qui a frappé le corps et y a laissé une marque. Cette marque s’isole et devient lisible.
« Comme Lacan l’indique le sujet est poème plutôt que poète, c’est un être parlé. Une psychanalyse accomplit sur le poème subjectif une sorte d’analyse textuelle qui a pour effet de soustraire l’élément pathétique afin de dégager l’élément logique. » [11] L’élément logique se dit, s’écrit, et peut donc être lu.
L’Hebdo-Blog, Nouvelle série de cette semaine tente de cerner le passage délicat entre dire et lire. Bonne lecture.
[1] Cf. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 491.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 491-492.
[5] Ibid., p. 492.
[6] Ibid., p. 493.
[7] Ibid., p. 492.
[8] Ibid., p. 495.
[9] Miller J.-A., « Lire le symptôme », Mental, n°26, juin 2011, p. 50.
[10] Ibid., p. 58.
[11] Miller J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin, 2018, p. 27.
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