« L’inconscient, c’est la politique »[1]
Lacan nous dit « L’inconscient, c’est la politique » lors de la séance du 10 mai 1967 de son Séminaire. Il met en regard de cette formule la phrase de Freud « L’anatomie c’est le destin ». Dans la même séance, Lacan pose la politique comme ce qui lie les hommes entre eux. Derrière ce lien, il y a un autre lien pour la psychanalyse, celui entre les hommes et les femmes. On peut dire que le lien entre sexualité et politique est aujourd’hui une évidence.
Mais, dans ce domaine, on est passé de la subversion de l’ordre social par le désir sexuel en 1968 à la crise contemporaine des identités de genre et des transidentités.
La trouvaille de Lacan fut de dire que, en tout cas, ce n’est pas l’acte sexuel qui procure une quelconque identité. On peut dire aussi que l’énigme de l’identité, du point de vue de l’inconscient, est d’autant plus forte que le sujet est une femme : cela faisait problème à Freud de savoir ce que veut une femme. Ce qui est paradoxal, c’est que ce qui peut passer pour un défaut apparent d’identité peut très bien être recherché par un sujet aujourd’hui comme la position même de ce qui échappe à l’identification / assignation. Et ce pour les trans MtF[2] entre autres.
Si on suit Lacan, l’être humain est insexuable, et c’est bien ce dont on s’avise aujourd’hui ! Ce dernier peut s’en sentir inexcusable ou trouver que ce sont les autres, ceux qui refusent sa vie sexuelle, qui le sont. Aujourd’hui, ce qui est au centre de ce qui est perçu en politique, ce n’est pas le discours, c’est l’émotion, principalement la colère, la rage ou l’indignation, voire l’humiliation. Et c’est elle qui fait lien commun entre les sujets avant toute réflexion. Les partis extrémistes s’en contentent. C’est en cela que la question sociale traditionnelle, économique par exemple, semble ne plus être au centre des débats. D’où aussi le succès des professionnels de l’émotion comme D. Trump et d’autres, bien pires, chez nous. Les émotions, ce sont des images qui les déclenchent, ou des idées simplistes portées par des images.
Alors est-ce que l’émotion, c’est l’inconscient ? Sûrement pas ! Mais cela nous permet de mieux comprendre la thèse que Lacan avance dans la séance du 30 mai 1967 de son Séminaire[3] selon laquelle « l’Autre, c’est le corps ». Si l’inconscient, c’est le discours de l’Autre, le corps vivant a pris aussi la place du sujet : c’est la biopolitique identifiée par Foucault. Les corps vivants comptent.
Le corps du sujet parlant est un mystère qui ne s’attrape que par le biais qui rend lisible ce mystère, le symptôme. Il s’agit du symptôme au sens de la psychanalyse, c’est-à-dire un symptôme lu et interprété. C’est en cela que Lacan a pu écrire en 1971 : « Que le symptôme institue l’ordre dont s’avère notre politique, implique d’autre part que tout ce qui s’articule de cet ordre soit passible d’interprétation. C’est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la politique. Et ceci pourrait n’être pas de tout repos pour ce qui de la politique a fait figure jusqu’ici, si la psychanalyse s’en avérait avertie. »[4]
On peut dire que le sujet contemporain est aussi un sujet qui craint l’interprétation, mais qui aussi bien se laisse convaincre par toutes les pseudo-interprétations ready made. Il craint d’être interprété, car il craint de perdre ce qu’il a de plus réel et qu’il pense saisir en direct dans son corps, ou produit par sa pensée. Ce rejet va jusqu’au point qu’aujourd’hui certains choix subjectifs de changement de sexe et d’existence ne devraient plus être questionnés par quiconque selon le droit.
Mais ce qu’un sujet a de plus réel, c’est justement son symptôme, comme Lacan a pu le dire aux Américains en 1975[5]. À condition de l’interpréter. Et au fond l’inconscient, si on lui permet de prendre place, avec un psychanalyste, est le meilleur interprète du symptôme.
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[1] Retrouvez l’intervention de l’auteur « L’inconscient, c’est la politique » sur Studio Lacan, 4 décembre 2021, https://www.youtube.com/watch?v=hnWEzOrRgck
[2] Cf. Marty É., Le sexe des Modernes, Paris, Seuil, 2021, p. 494.
[3] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, « La logique du fantasme », leçon du 30 mai 1967, inédit.
[4] Lacan J., « Lituraterre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 18.
[5] Cf. Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet, n° 6/7, 1975, p. 41.