Dans sa Théorie de Turin, Jacques-Alain Miller nous dit que dans une École de psychanalyse, tout est de l’ordre analytique *. À cela nous pourrions ajouter, selon l’esprit de Lacan tel qu’il se présente dans son Acte de fondation 1 : rien n’est analytique sans qu’une École de psychanalyse le garantisse. Tout est de l’ordre analytique dans une École car elle renvoie au moment inaugural de la psychanalyse qui a installé dans le monde une nouvelle version d’un sujet supposé savoir. C’est aussi le fait que c’est à partir de sa cure que chaque membre opère dans l’École. Rien n’est psychanalytique sans qu’une École le garantisse car seul dans une École opère un dispositif qui vérifie les effets d’une analyse. Cela ne veut pas dire que tous ceux qui ont choisi l’École désirent faire la passe, mais que ce qui se fait dans une École s’oriente d’elle.
La FIPA, Fédération d’Institutions de Psychanalyse Appliquée, peut se dire orientée par la psychanalyse lacanienne parce qu’elle est composée d’institutions qui ont fait le choix de l’École de la Cause freudienne comme leur référence. C’est dire qu’elle inclut en son sein cette institution qui fait exception par rapport aux institutions de soins et qui met en pratique la formation de l’analyste. C’est justement de reconnaître cette place d’exception de l’ECF qu’on peut préciser, comme l’a fait Jacques-Alain Miller en 2008 par rapport au CPCT, qu’une institution de soins ne procure pas la formation de l’analyste. En revanche, à partir d’un rapport authentique avec l’expérience de l’analyse, le praticien en institution peut soumettre son travail à la question : qu’est-ce qui est psychanalytique dans ce que je fais ?
Si le clinicien se prête à cet exercice, l’École lui offre ce que Lacan a appelé un refuge et une base d’opération contre le malaise dans la civilisation 2. En effet, pour des praticiens qui travaillent dans des institutions mises en place et financés par le maître, plongées dans le malaise dans la civilisation, l’École via l’ACF peut occuper cette place de refuge face aux discours scientiste et managériaux. Elle est aussi un lieu où ceux qui l’ont choisi peuvent venir se ressourcer, pour ensuite sortir et opérer sur le monde, chacun dans l’institution dans laquelle il travaille. Mais le fait que le psychanalyste opère sur le malaise dans la civilisation implique qu’il fasse d’autant plus attention à ne pas se dissoudre dans les discours ambiants.
Le refuge et cette base d’opération que l’École offre à ceux qui le souhaitent, se soutiennent d’un lien social particulier. Ce lien est d’autant plus fort et solide que les analyses de ses membres pousse chacun au point de singularité dans lequel il n’a plus rien en commun avec l’Autre. Ainsi, la force de ce collectif non-communautaire est en soi un effet de formation par le mode transférentiel qui s’y installe et par sa façon de traiter la question de l’exception.
Concernant le mode de transfert installé dans l’Ecole, nous pouvons nous orienté par la distinction faite par Jacques-Alain Miller entre la référence au moi idéal et la référence à l’idéal du moi 3. Le moi idéal émane d’un accrochage du sujet à son identification au phallus de la mère, ce qui ne lui permet pas de reconnaître une dette envers le père et investir autre chose que sa propre personne. Du côté de l’idéal du moi, le sujet s’est laissé délogé par le père de la place du phallus maternel, ce qui lui permet d’orienter sa libido vers l’Autre. Ainsi un praticien pris dans la logique du moi idéal aurait tendance à croire à l’amour du transfert qui lui est adressé. Le transfert se logera alors sur l’axe imaginaire, sans se transférer au-delà. Par contre, le transfert orienté sur l’idéal du moi installera toujours un grand Autre derrière la personne qui assumera ce transfert. C’est un peu la structure du transfert telle qu’elle se présente chez le petit Hans. Derrière le père à qui parle l’enfant, il y a le « grand professeur », figure qui répond à la logique du sujet supposé savoir. De même, derrière celui que Lacan a désigné comme « l’au-moins un qui sait me lire », il y a l’enseignement de Lacan auquel Jacques-Alain Miller renvoie par son travail de commentaire vivant qui nous permet de lire cette œuvre dont Lacan lui-même disait qu’elle n’était « pas à lire ». Derrière le transfert à l’analyste, c’est l’École qui incarne l’Autre comme lieu où s’oriente le transfert de travail une fois l’analyse terminée, tel qu’en témoigne un grand nombre d’AE. Ainsi, à l’horizon du transfert du travail entre les membres, c’est l’Ecole qui est en place de sujet supposé savoir.
Pour terminer, l’exception. Ici aussi il s’agit d’une question liée à l’expérience analytique. Une lecture du texte de Dominique Laurent dans la Conversation sur le Signifiant-maître s’impose 4. La haine et la méfiance que suscite la figure de l’exception sont le résultat de l’investissement de la fonction logique de l’exception par l’imaginaire de l’imposture du père. En effet, c’est la figure du père réel ou imaginaire qui aspire l’hostilité de la communauté des frères non-dupes. Sauf que, à supprimer le père, cette communauté de frères se trouve avec une loi pure qui leur interdit tout accès au désir et à la jouissance. C’est une garantie d’un système, fut-il un réseau, qui tourne en rond, sans jamais ouvrir vers du nouveau. Une analyse qui tend vers une fin doit conduire à une réduction de l’imposture du père à sa fonction, incarné par les signifiants maîtres du sujet. L’exception devient alors une pure fonction qui peut soutenir le désir, en dehors des obstacles de l’imaginaire. Une fois que l’exception trouve son statut de fonction, l’École peut venir à cette place. Elle devient alors un plus-un soutenant un désir, et non plus un père supposé malveillant et trop exigeant.
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* Texte issu de la journée organisée par l’ACF-Belgique en collaboration avec la FIPA sous le titre « Le réseau et l’exception », le samedi 19 janvier 2019.
1 Lacan J., « Acte de fondation » (1964, 1971), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 229-241.
2 Ibid. p. 238.
3 Miller J.-A., « Éditorial », La movida ZADIG, N°1, Zadig, Paris.
4 Laurent D., « La contingence des exceptions », Conversation sur le signifiant maître, Paris, Agalma-Seuil (La paon), 1998, pp. 39-42.