Le but de la Journée de clinique et politique psychanalytiques en institution, organisée par l’ACF-Belgique en collaboration avec la FIPA, et intitulée « le Réseau et l’Exception » était, comme l’indiquait Dominique Holvoet dans l’argument, de réinterpréter le terme de réseau à la lumière de la psychanalyse *. Le réseau est un signifiant de la modernité, du Maître contemporain et de sa bureaucratie autoritaire associée au management des individus. Mais il a aussi ses lettres de noblesse et ses intérêts : la Résistance en est certainement l’exemple historique le plus éminent, les réseaux ferroviaires et autoroutiers nous facilitent quotidiennement la vie tandis que les divers réseaux sociaux qu’internet nous permet, démontrent tout à la fois leur formidable utilité et leurs multiples dangers.
Les travaux préparatoires à cette journée ont décliné de diverses manières l’opposition dialectique entre d’une part le réseau en tant qu’il est relié à un idéal de soins et de contrôle et d’autre part le réseau qu’un sujet peut se constituer à partir du transfert, du lien de confiance, qui va lui permettre de faire relais avec d’autres intervenants dans ou en dehors de l’institution. Le réseau sur mesure choisi par le sujet se situe dans une logique du pas-tout, non bouclée, et duquel la volonté du bien de l’autre est extraite, à l’opposé du réseau de soins que veulent toujours davantage nous imposer les autorités politiques, de gauche ou de droite.
Aux réseaux des protocoles et de la norme, nous avons effectivement opposé des cas exceptionnels et singuliers en lien avec l’invention d’analysants civilisés. Ces sujets ont été accueillis ou reçus dans des lieux qui sont des abris, des enclaves face au discours du Maître. Toutes les interventions de cette journée ont démontré la pertinence d’opposer au réseau du contrôle sanitaire, du ready-made, le réseau haute-couture constitué par le transfert que le sujet accorde à un Autre et puis à d’autres.
Mais on peut se poser la question de savoir ce qu’il y a de psychanalytique dans notre action en institution ? Nous avons, au cours de cette journée, pu repérer qu’il y a parfois « du psychanalyste ». Lorsque cela se passe, c’est toujours en lien d’une manière ou d’une autre avec l’un des pieds du tripode que constituent la cure, le contrôle et l’Ecole. Pour que la psychanalyse appliquée soit effectivement psychanalytique, elle doit être nécessairement nouée à la psychanalyse pure et donc à la passe.
Il s’agit dans nos institutions de viser non pas à davantage d’identifications du sujet mais bien à l’identification d’une jouissance au lieu de l’Autre. C’est ce que peut également enseigner la fin de la cure analytique quand elle aboutit à nommer une jouissance illimitée, et qu’elle parvient ainsi à mettre un bord à ce qui sinon n’avait pas de limite. Ce qui donne la possibilité d’un savoir-y-faire avec son sinthome. Si nous voulons que la psychanalyse en institution ne soit pas une pratique rabattue, amoindrie, bâtarde, elle doit viser le point-même de cette nomination du signifiant qui manque dans l’Autre, c’est-à-dire s’orienter du réel et se préserver de tous les effets imaginaires.
Avant Freud, la psychanalyse n’existait pas, il est le premier à forer un trou dans le discours de son époque pour faire une place à la vie psychique. Lacan s’est battu pour que les psychanalystes eux-mêmes ne rebouchent pas le trou creusé par Freud. Avec la précieuse lecture que Jacques-Alain Miller a fait de son enseignement, et les nombreux textes qu’il a écrit sur les institutions, nous avons une mine précieuse de laquelle tirer les cailloux à placer dans les chaussures du Maître pour empêcher la machine de tourner rond. Jamais la place de la psychanalyse ne sera assurée, nous ne pourrons jamais nous reposer, le réveil s’impose aujourd’hui tout autant qu’hier.
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* Texte issu de la journée organisée par l’ACF-Belgique en collaboration avec la FIPA sous le titre « Le réseau et l’exception », le samedi 19 janvier 2019.