Une PUBLICATION de l'ECF, des ACF et des CPCT

Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 263, Édito

ÉDITORIAL : Le réel de l’autiste

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Le réel de la science n’est pas le Réel de la psychanalyse. Le réel de la science est commun, il est pour tous. Il a déjà un savoir écrit en lui-même, un savoir exposé, un savoir déjà là, prêt à être lu. Jacques-Alain Miller note que « jadis le réel s’appelait la nature »[1]. On pouvait dire que le réel était ce qui revenait toujours à la même place : « [à] cette époque, le réel […] avait la fonction d’Autre de l’Autre, c’est-à-dire qu’il était la garantie même de l’ordre symbolique »[2]. Mais aujourd’hui la nature est désordonnée et le réel ne revient plus à la même place et donc le sujet s’angoisse.

Quant au réel de la psychanalyse, il tient au fait que les humains sont des êtres parlants – tous, même quand ils sont mutiques, y sont soumis – mais le réel est pour chacun différent. Dans Le triomphe de la religion, Lacan précise que « s’il y a notion de réel, elle est extrêmement complexe et à ce titre non saisissable, non saisissable d’une façon qui ferait tout […] qu’il vaut mieux se garder de dire que le réel est en quoi que ce soit un tout »[3].

L’inconscient réel est singulier. Il est ce petit bout de caillou dans la chaussure, « [ce] qui ne cesse de ne pas s’écrire dans l’expérience du sujet qui parle et jouit d’un corps »[4]. On peut tenter d’en décrire les constantes, les émergences, les expressions afin de l’approcher au plus près. Mais, « [d]ans la psychanalyse, il n’y a pas de savoir dans le réel. Le savoir est une élucubration sur un réel dépourvu de tout supposé savoir. […] Le réel, ainsi compris, n’est pas un cosmos, pas un monde, ni un ordre ; c’est un morceau, un fragment asystématique, séparé du savoir fictionnel. […] C’est un trou dans le savoir »[5].

Qu’en est-il du réel de l’autiste ? Que peut-il nous apprendre de l’inconscient réel, de la percussion du S1 sur le corps de l’être parlant ? L’autisme est-il une réponse subjective au réel sans loi, au réel sans Autre de l’Autre, dans lequel nous sommes rentrés suite aux effets de la science qui, en désordonnant la nature, n’a cessé de le faire croître ?

Le réel de l’autiste est celui d’un être parlant qui a affaire au réel du XXIe siècle, c’est-à-dire au réel sans garantie. Est-ce pour cela que l’autiste doit toujours répéter les choses inlassablement ? Parce qu’il n’y a aucune garantie dans l’Autre et que dès lors il faut tout le temps se réassurer de la réponse ? L’autiste a une lucidité terrifiante sur le monde : rien ne lui garantit sa stabilité et donc il lui faut sans cesse se rassurer, car il est habité par une angoisse effroyable. Mais ce réel est-il un ? Il n’est certainement pas multiple comme le sont nos réalités. Il n’y a pas des réels. Il est Un, mais il est chaque Un. Le réel de l’être parlant est fractal[6] selon la proposition d’Antoine Ouellette, autiste Asperger et musicien de génie. Il est constitué de S1 sans S2, il n’y a pas de liens.

Si le réel de la psychanalyse est le réel du corps parlant touché par l’impact des signifiants, il est constitué du même matériau pour tout être parlant et il possède les mêmes caractéristiques. Pour tous, il y a l’impact des mots sur le corps et le dérangement que cela implique sur l’instinct, le besoin, le vivant. Et puis pour chacun, ces impacts diffèrent en fonction de l’histoire du sujet, de ses rencontres, du hasard et des choix subjectifs. Dès lors, le réel du sujet névrosé est recouvert d’une série de couches défensives qui partent de la constitution du moi dans le miroir et se développent avec les identifications et le fantasme. Tout cela habille le sujet, lui fait une hystoire.

Le réel de l’autiste est brut, non structuré, diffracté en de multiples éléments épars. Il est l’entité des pulsions sans le vase pour venir leur donner forme et les rassembler en un corps unifié. Il est chaotique telles la physique du chaos et les mathématiques fractales, ce qui ne l’empêche pas d’évoluer, bien au contraire. Mais c’est une évolution imprévisible, entièrement soumise au contingent. Il n’en reste pas moins qu’elle s’achemine vers un équilibre à partir de mécanismes de répétition et de réitération présents dans les mathématiques fractales. L’affinité de l’autiste a pour fonction d’organiser un équilibre dans le chaos du monde de l’Autre[7].

Katty Langelez-Stevens

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[1] Miller J.-A., « Le réel au XXIe siècle. Présentation du thème du IXe Congrès de l’AMP », La Cause du désir, n°82, octobre 2012, p. 89.

[2] Miller J.-A., ibid.

[3] Lacan J., Le triomphe de la religion précédé de Discours aux catholiques, Paris, Seuil, p. 97.

[4] Bassols M., « Il n’y a pas de science du Réel », Universidad Popular Jacques-Lacan, 29 septembre 2010, publication en ligne (http://psicoanalisisyciencia.wordpress.com/2010/09/29). 

[5] Miller J.-A., « Le réel au XXIe siècle… », op. cit., p. 92-93.

[6] Cf. Ouellette A., Musique autiste. Vivre et composer avec le syndrome d’Asperger, Montréal, Varia, 2018, p. 296.

[7] Cf. Orrado I. & Vivès J.-M., Autisme et médiation. Bricoler une solution pour chacun, Paris, Arkhe, 2020.

 

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