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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 271

Fictions et “fixion”

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La mise en tension des deux concepts de fixation et de répétition nous conduirait-elle à une question du style du paradoxe de l’œuf et de la poule : est-ce parce que quelque chose s’est d’abord fixé que cela se répète ensuite, ou la fixation se produit-elle du fait de la répétition ?

Le problème est ainsi sans doute mal posé, mais le facteur temporel n’en est pas moins à interroger en l’occurrence. Ne serait-ce que parce que, comme le souligne Jacques-Alain Miller, « Chez Lacan, l’inconscient a une affinité essentielle avec le temps » [1], ce qui ne se repère qu’à suivre les différentes façons dont, au fil de son enseignement, Lacan vient à définir l’inconscient, de « l’hypothèse nécessaire et légitime » freudienne à l’inconscient structuré comme un langage, discours de l’Autre, jusqu’au parlêtre et l’une-bévue, sur le chemin « d’introduire quelque chose qui va plus loin que l’inconscient » [2]. Temps chronologique, temps logique ou « temps dune autre topologie » [3] sont à l’œuvre dans le devenir des différentes fictions dont se tisse l’expérience analytique. Le fantasme n’est pas la moindre d’entre elles.

La traversée du fantasme, fracturant le poinçon qui connectait $ et a, permet à la fois de dénuder la faille constitutive du sujet et de reconnaître et isoler la part de jouissance qui s’était trouvée encapsulée dans l’objet a. C’est aussi l’accroche à l’Autre, dont la puissance supposée se défait et dont l’inexistence s’aperçoit alors, qui s’en trouve modifiée. Le fantasme n’en disparaît pas pour autant, mais se trouve désactivée la part qu’il prenait à la répétition d’une jouissance par un sens toujours programmé à l’identique dans la fenêtre qu’il ouvrait – et à la fois fermait – au sujet sur le monde. Cette traversée du fantasme porte atteinte à la jouissance qui s’y fixait comme à la fiction d’être dont le sujet prenait assurance, mais sans contrevenir à la temporalité ni à la logique de l’articulation signifiante.

Cependant, poursuivre une analyse au-delà de ce moment confronte l’analysant au constat qu’il n’en a pas fini avec la répétition et le conduit à une nouvelle traversée, celle d’une zone de jouissance plus opaque, qui itère dans le symptôme au-delà de son déchiffrage. Plus ou moins encalminé dans ce pot-au-noir, le savoir comme le sens, et donc l’inconscient dans la mesure où celui-ci s’avère aussi pour une part une construction de l’analyse en ayant lui-même structure de fiction à l’instar même de celle du langage [4], ne sont plus des recours suffisants.

Seule la piste du symptôme peut lui servir de boussole pour tenter de cerner au plus près le Un de jouissance qui s’y loge et dont l’insistance, mode de la répétition hors sens, signe le réel, auquel le trauma a donné forme. Si celui-ci s’avère « toujours suspect » [5]  selon Lacan, c’est aussi que dès qu’on vient à l’énoncer, la fiction commence et éloigne du trou de l’indicible, de l’Unerkannt. Si ce Un de jouissance procède de la rencontre contingente du signifiant et du corps, relève aussi de la contingence de parvenir éventuellement à la fin d’une analyse à trouver comment nommer ce qui, dans cette frappe du signifiant sur le corps, a pris statut de lettre. Mais elle ne reste de toute façon que « dernière station avant le réel » [6], fixion ultime de l’analyse, qui dit la fixation de jouissance irrémédiable, non sans la fiction minimale d’en passer par un signifiant, fût-il signifiant-tout-seul déconnecté de la chaîne. Fixion avec un x, lettre qui indexe l’inconnu et aussi l’existence.

Sophie Gayard

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[1] Miller J.-A., « La nouvelle alliance conceptuelle de l’inconscient et du temps chez Lacan », La Cause freudienne, n°45, avril 2000, p. 7.

[2] Lacan J., « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 16 novembre 1976, Ornicar ?, n°12-13, p. 5.

[3] Laurent É., « Le “nom de jouissance” et la répétition », La Cause freudienne, n°49, novembre 2001, p. 31.

[4] Cf. Miller J.-A., « Une psychanalyse a structure de fiction », La Cause du désir, n°87, juin 2014, p. 77.

[5] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet, n°6/7, p. 22.

[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 21 mars 2007, inédit.

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