La création des CPCT, il y a bientôt vingt ans, relève d’un mouvement qui va de la psychanalyse pure vers la psychanalyse appliquée, du cabinet vers « les lieux alpha », lieux analytiques, institutions ou consultations [1]. La pratique au CPCT offre chance de faire un pas de plus et de supposer un mouvement inverse, c’est-à-dire un effet retour de la psychanalyse appliquée sur la cure.
La limitation imposée, seize séances maximum, énoncée dès la première rencontre avec le consultant, introduit un encadrement du temps et produit des effets différents suivant les patients. Marie constate qu’elle est perdue dans sa propre chronologie, et elle s’appuie sur le comptage des séances pour essayer de fixer quelques dates de son histoire. Un autre patient peut anticiper la fin du traitement dès la deuxième rencontre et demande ce qui va se passer à la fin du traitement parce qu’il n’a pas envie que cela se termine. Beaucoup n’en parlent pas et il est parfois nécessaire de discrètement rappeler le nombre de séances qu’il reste afin de souligner la singularité de ce dispositif. La parole du sujet compte et le temps lui est compté pour la dire.
De mon côté, en tant que praticienne, l’effet a été immédiatement mesurable : la première séance déclenche le compte à rebours, « un raccourcissement du temps pour comprendre » [2], pour reprendre une formule de Serge Cottet, et cela me semble être une forme de réponse à l’urgence subjective qui amène la plupart des patients. Pourtant, ce temps pour comprendre, s’il est raccourci, ne doit pas être évincé. Il s’agit, au contraire, de lui donner du poids, en mobilisant son attention pour entendre puis faire entendre des énoncés, des signifiants auxquels le patient pourra s’arrimer. Chaque séance donne lieu à une prise de notes, pour ne pas laisser échapper les points saillants. Le travail en groupes cliniques, où les séances peuvent être reprises une par une, les détails relevés, où une logique de la séance peut se dégager, permet un ajustement de la position du praticien. Cette position, au regard de la clinique au CPCT et du dispositif même, ne peut être une position d’attente ni de réserve. La prudence, indispensable, ne doit pas empêcher de faire résonner à l’oreille du patient la répétition dans laquelle il est pris, et parfois de « l’inviter à changer de disque » [3]. Le pari d’un lieu alpha tel que le CPCT n’est pas seulement que l’urgence subjective soit un peu apaisée mais aussi qu’à l’issue du traitement, le patient ait pu se faire un peu sujet de son énonciation, reparte avec un certain gain de savoir.
La psychanalyse n’est donc pas qu’une affaire de divan, car ses effets « ne tiennent pas au cadre, mais au discours, c’est-à-dire à l’installation de coordonnées symboliques » par quelqu’un qui s’appuie sur « l’expérience dans laquelle lui s’est engagé » [4], en tant qu’analysant bien sûr, mais aussi en tant que praticien dans un lieu alpha. Un effet retour de la psychanalyse appliquée est déjà mesurable dans l’abord que nous avons de la psychose ordinaire, d’une autre façon encore que de se faire secrétaire de l’aliéné. La clinique en cabinet, et ce encore plus depuis le début de la crise sanitaire, est souvent proche de celle du CPCT. Les sujets sont déboussolés, l’angoisse prend le pas. La demande n’est pas articulée comme telle, elle prend plutôt la forme d’un appel pressant. L’accueil de la parole et la réserve bienveillante ne sont plus de mise quand la déprise sociale est à l’horizon. Dans ce contexte, les premiers entretiens sont déterminants pour accrocher un transfert, à la fois entendre l’appel et faire résonner une demande. Pour certains sujets, qui sont en peine de suivre un fil, c’est parfois à mobiliser à chaque rencontre. « Je ne sais plus du tout de quoi on a parlé la dernière fois », est une phrase qui revient souvent en début d’entretien. Une écoute active donc, séance par séance, souligner les signifiants pour orienter la parole vers une mise en forme de la question qui ouvre parfois à la formalisation du symptôme, « l’os sur quoi bute la singularité du sujet »[5]. C’est effectivement le principe de la cure, mais d’une manière que je dirais plus appuyée, en forçant doucement le trait. Le temps est parfois compté pour amorcer un rebranchement sur le discours de l’Autre et soutenir un effort de subjectivation.
* Hélène Combe est consultante au CPCT-Paris.
[1] Miller J.-A., « Vers Pipol IV », Mental, n°20, février 2008, p. 185-192.
[2] Cottet S., « Raccourcir le temps pour comprendre ? », in CPCT-Paris (s/dir.), L’Inconscient éclair. Temporalité et éthique au CPCT, Paris, École de la Cause freudienne, coll. Rue Huysmans, 2019, p. 11.
[3] Ibid., p. 17.
[4] Miller J.-A., « Vers Pipol IV », op. cit., p. 185-192.
[5] Cottet S., « Raccourcir le temps pour comprendre ? », op. cit., p. 17.