
Éditorial : Politique de la psychanalyse, quelques lectures
La psychanalyse suppose deux personnes qui se soumettent à une expérience de parole, singulière, explorant une souffrance, un trauma, ayant causé parfois des blessures secrètes. Que vient faire la politique – la chose publique – dans ce lieu de l’intime ?
Lacan introduit la question de la politique du psychanalyste, dans un texte écrit en 1958 « La direction de la cure ». À côté de la stratégie à long terme du transfert et de l’interprétation qui relève de la tactique manœuvrant avec les aléas du terrain, Lacan situe la politique du côté de l’action. Il s’agit, pour lui de faire un pas décisif, de dégager la conduite des cures d’une vision normative, dominante dans le milieu analytique, la théorie adaptative du moi à la réalité. Lacan réfute l’idée que le « rapport à la réalité va de soi » [1]. Sa pratique en psychiatrie, les paroles entendues sur le divan lui ont appris qu’une dimension de l’expérience est insistance d’autre chose faisant objection à la réalité, cadrée par les dimensions de l’imaginaire et du symbolique. Il cherche à en rendre compte, ce qui suppose un acte, c’est-à-dire une mise en suspens des savoirs disponibles, une ouverture vers des signifiants nouveaux.
Commentant ce passage de « La direction de la cure », dans son cours, Jacques-Alain Miller indique que la politique de la psychanalyse concerne l’éthique « au service de laquelle et sous l’impulsion de laquelle se déroule l’expérience » [2]. Et il précise qu’« elle concerne les conditions mêmes de l’action analytique […], et […] les conditions de possibilité de l’analyse » [3].
L’éthique est à situer du côté de das Ding, la Chose indialectisable, intraitable, irréductible [4]. Lisons Lacan : « Je suis à la place d’où se vocifère que “l’univers est un défaut dans la pureté du Non-Être” […]. Elle s’appelle la Jouissance, et c’est elle dont le défaut rendrait vain l’univers » [5]. La position éthique du psychanalyste est d’entendre ce qui exige et vocifère. Il consent, dans la séance, à occuper la place de ce qui vocifère dans les failles de la parole. Ce praticien offre ainsi chance que l’expérience analytique puisse avoir lieu. Il soutient, par sa présence, les conditions de l’expérience.
La recherche dans le champ de la psychanalyse se poursuit, aujourd’hui, démontrant en quoi l’éthique du clinicien est, spécialement requise. Les évènements étonnants qui ont surgi ces derniers temps mettent, plus que jamais, à l’épreuve le concept de réalité partagée dont répondraient des instances de perception et de représentation. Des faits inouïs ont fragmenté les discours qui parcourent notre monde ; la langue du poète leur fait étrangement écho :
« La réalité est une corde raide.
Si je glisse, je me dis “tiens, c’est intéressant”,
La plupart du temps, je glisse
Dans cette version fugitive, cet éclair. » [6]
Les livres mis à l’honneur cette semaine, apportent leurs zones de lumière : réflexions autour de l’universel, avancées décisives dans le champ de la dite « santé mentale »… Ces ouvrages s’inscrivent dans une politique analytique faisant place au réel sans loi qui travaille la civilisation à son insu.
[1] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 590.
[2] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Les divins détails », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 31 mai 1989, inédit.
[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 15 novembre 1989, inédit.
[4] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986.
[5] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, op. cit., p. 819.
[6] Sollers P., « De Kooning, vite », La Guerre du goût, Paris, Gallimard, 1996, p. 156.
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