Des quatre modalités logiques, le possible est sans doute la moins mobilisée dans nos travaux, peut-être est-ce dû à la proximité du possible et du contingent ? Jacques-Alain Miller indique en effet qu’il n’y a pas de « différence qualitative » [1] entre le possible et le contingent, le possible cesse de s’écrire, quand la contingence cesse de ne pas s’écrire. Les deux émergent d’une coupure.
Au contraire, le permanent, l’incessant, se logent du côté du nécessaire, qui ne cesse pas de s’écrire – c’est la pulsion, la répétition, le symptôme. Ces dimensions de l’être humain concernent sa jouissance et, sans la contingence de la rencontre – bonne ou mauvaise –, il n’y a aucune possibilité d’opérer quelques dérivations sur la jouissance.
Par opposition au symptôme, le transfert est « la rencontre réussie […] de l’ordre de ce qui cesse » [2]. En effet, demander une analyse n’est pas sans un espoir de voir s’évanouir ce qui ne cesse pas – de se produire, ou de ne pas se produire. Dans son cours « 1, 2, 3, 4 », J.-A. Miller indique qu’« il faut que surgisse quelque chose qui est de l’ordre du possible pour qu’on puisse en venir à l’impossible. Ça ne se saisit que si l’on voit, dit-il, qu’une analyse est de l’ordre du possible. [Et elle] est de l’ordre du possible au titre même du transfert » [3]. C’est là un premier chant du possible qui inaugure la mise en fonction de la vérité : « on s’imagine que le rapport cesse de ne pas s’écrire » [4]. C’est depuis cette « amorce […] contradictoire » [5] d’un ou bien ou bien, que le possible permet d’approcher délicatement l’impossible, que le « tout est possible » de l’enthousiasme fait peu à peu la place au réel de la séparation. Ainsi, dans le mouvement même de la cure, le possible s’incorpore au nécessaire : parce que parfois ça cesse de s’écrire – trou, vide, ouverture, coupure, énigme – la réponse analysante mue par la pulsion ne cesse plus, dans le transfert.
Mais après ? Après que soit atteint le « virage de l’impuissance » [6], puis, plus escarpé, celui de l’impossible, se pourrait-il que, chemin faisant, le possible lui-même mute, d’être attenant au dire qui le cause ? Dégagé cette fois par l’analyse, le possible post-analytique ne concernerait-t-il pas désormais : « cette place [qui] rend possible d’être la place d’une absence » [7] ? Cette place vide, la « place de Plus-Personne » [8] qui permet la mise en acte du désir de l’analyste ? Le possible ne serait plus alors le petit losange lacanien permettant l’écriture de toutes les combinaisons possibles du sujet et de l’objet, mais il serait la « faille de la vérité [qui] se soutient essentiellement de ce que nous devons considérer la vérité, […] dans l’expérience analytique, comme elle-même modale » [9].
[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. 1, 2, 3, 4 », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 30 janvier 1985, inédit.
[2] Ibid.
[3] Ibid., cours du 23 janvier 1985.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Lacan J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : “Psychanalyse et structure de la personnalité” », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 666.
[8] Ibid., p. 667.
[9] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. 1, 2, 3, 4 », op. cit., cours du 30 janvier 1985.