Il y a aujourd’hui une pente à éviter, voire à contrer, le transfert – il faudrait que le patient ne manifeste aucune affection ou hostilité, ni qu’il s’installe de façon prolongée dans un lieu, ni qu’il témoigne du savoir qu’il suppose à telle institution, à tel professionnel. Bref, il vaudrait mieux qu’aucune rencontre n’ait lieu…
Tout à l’inverse de cette tendance, la psychanalyse n’ignore pas le transfert et lui accorde une valeur opératoire. Il en est ainsi dès Freud. Dans le cas Dora, rattrapé par ce qu’il a méconnu dans la cure, il analyse la place du transfert et noue ce dernier à la psychanalyse elle-même : « Si l’on considère la théorie de la technique psychanalytique, on se rend compte que le transfert en découle nécessairement. »
Déjà Freud assène : « on ne peut éviter le transfert par aucun moyen ». Il a même l’idée que celui-ci peut être le « plus puissant auxiliaire » de la cure analytique – pas d’évacuation du transfert donc, mais un maniement.
Lacan effectue un pas supplémentaire en venant trouer ce que l’essor théorique de son temps concernant le contre-transfert aplanissait de la parole du sujet. Il note que le transfert s’adresse au sujet supposé savoir. La consistance qu’il peut prendre se trouve frappée d’un moins, celui de n’être que supposition, restituant, en retour, ses lettres de noblesse au sujet pour découvrir ce que recèle son inconscient de savoir insu.
À l’heure des demandes anonymes et sans parole via des plateformes, des robots conversationnels, des injonctions à ne surtout pas laisser un lien s’installer, qu’en est-il de cette subversion que constitue la manœuvre du transfert – manœuvre qui dit aussi l’accueil dudit transfert, un accueil d’une place laissée vide et supportée d’une présence de corps ?
Romain Aubé