Acte analytique versus savoir-faire

Pousser la porte du cabinet du psychanalyste, ce n’est pas entrer en analyse. Cela peut paraître un truisme, mais, il en va tout autrement selon cette autre perspective où ce qui manque est de l’ordre d’un en-plus.

Une demande de réglage

Dans les particularités de certaines demandes actuelles se fait entendre quelque chose qui relève du pulsionnel qu’il faudrait border en urgence. C’est là que l’on retrouve la porte poussée. Pulsion en lieu et place des trébuchements du désir et des malentendus de l’amour. Non seulement ça, mais il serait aussi attendu de cet en-plus un gain de jouissance. En fait, c’est en phase avec ce que proposent la science et le modèle sociétal actuel, comme autant de pousses-à-jouir. C’est ainsi qu’au XXI^e siècle les demandes d’analyse ont changé : il ne s’agit pas tant d’un manque de désir que de quelque chose qui manque du côté de la jouissance : un en-moins par rapport à un en-plus espéré.

Si ce sujet moderne ne croit pas à l’inconscient, c’est néanmoins à un analyste qu’il s’adresse. On a beau dire qu’il vient voir un analyste comme un des « moyens » mis à sa disposition, la question retombe aussi du côté de l’analyste et de ce qu’il fait de cette demande. Comment s’y prendre avec un sujet qui veut les clés pour régler sa jouissance. Comment faire émerger un symptôme analytique avec un sujet qui est plus intéressé par un prétendu savoir-faire de l’analyste que de lui supposer un savoir et de se mettre à la tâche analysante ?

La cause pour cible

Que peut-on dire, dans notre modernité, des analystes que Lacan, en son temps, comparait à des rhinocéros et dont il disait qu’ils « font à peu près n’importe quoi, et je les approuve toujours. Ils ont en effet toujours raison¹ » – premier temps du contrôle. Enfin, le deuxième temps est celui d’user de l’équivoque pour dégager ce qui pouvait, du sinthome, faire symptôme, obstacle au désir de l’analyste. L’objectif n’étant pas de s’opposer, mais de faire en sorte que ce soit celui qui vient au contrôle qui s’aperçoive de son erreur. Le rhinocéros fonceur n’est pas du tout en voie de disparition, il ne concerne pas seulement les rhinocéros auxquels Lacan s’adressait en son temps mais aussi nous tous confrontés à ces demandes qui surprennent.

Le temps presse, l’analysant est pressé et il presse l’analyste qui confond, quand il s’y laisse prendre, hâte et précipitation. L’analyste peut adhérer à l’urgence de la demande de son analysant pour lequel il croit pouvoir établir une causalité directe ; reprenant dans une perspective moderne ce que Lacan mettait du côté d’une psychologisation de l’inconscient. Son acte aurait pour cible la cause. Il prend, si je peux dire, fait et cause pour son analysant, son Un-patient, son in-patient, out-analysant. In, out, il faut viser le moment de conclure, en ayant court-circuité les deux premiers, l’instant de voir et le temps pour comprendre.

L’analyste moderne ne veut pas être dupe, comme son analysant, il veut des résultats et la terminologie qui le tente inclut bien souvent la nécessité de produire un acte. Il sait bien que l’acte ne se calcule pas. Mais il se veut inventif, il est décidé à sortir de l’ornière de la vérité menteuse celui qui s’y trouve de s’être fait des nœuds ; ceci en lui proposant d’autres nouages qu’il appellera « sinthome » : il est syntone au sinthome de son analysant.

Le désir en question

Quoi qu’il en soit de ce que la modernité imposerait, la manœuvre du transfert visera, encore et toujours, à faire surgir une question propre au sujet. Faire en sorte que là où le « droit au bonheur » est exigé de l’analyste – en lieu et place d’une éthique du bien-dire – l’orientation se fasse vers le questionnement de la vérité et des méandres, comme des impasses, du désir.

Que l’acte de l’analyste incline le sujet à faire que, d’une plainte dirigée à l’Autre du monde qui l’entoure, il puisse s’interroger sur son désir, là où il est aveuglé par la recherche d’une jouissance promise à tous.

Guy Briole