Les sujets contemporains ont-ils honte ? Éprouvent-ils cet affect qui est lié à la pudeur ? Lacan se pose cette question dans les suites du tumulte de Mai 68 et de l’essor du Jouir sans entrave. Face à l’impudence qu’il dénonce, il cherche à raviver la dimension de la honte. Il va jusqu’à dire que l’effet retour de l’impudence est la « production de la honte1 ».
Dans sa « Note sur la honte », Jacques-Alain Miller soumet cette analyse : « La disparition de la honte veut dire que le sujet cesse d’être représenté par un signifiant qui vaille. » Se lit ici l’enjeu pour la psychanalyse, en tant qu’elle vise à faire une place au sujet représenté par un signifiant pour un autre.
En conclusion de son Séminaire XVII, Lacan interprète son auditoire : « pas trop, mais justement assez, il m’arrive de vous faire honte ». Pas trop, car il ne s’agit pas d’agiter la culpabilité. Justement assez, parce que la honte atteste que le réel est concerné tout en permettant au sujet de se laisser représenter par un signifiant. Autrement dit, il s’agit que le sujet puisse s’inscrire sous un signifiant-maître pour que se déplie ensuite un savoir, pour qu’il soit « engrené, dit J.-A. Miller, sur […] un ordre du monde où il a sa place ». La honte est donc cet affect attestant que le sujet a pris place dans l’Autre, ce qui permet, à l’occasion, qu’un discours, voire un bien-dire, advienne.
On saisit mieux pourquoi Lacan promeut une hontologie.
Romain Aubé
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 220.