En tant que présidente actuelle de l’AMP, pourriez-vous nous éclairer sur les orientations politiques des différentes Écoles à l’heure du « Tout le monde est fou » ?
Nous vivons une époque de changements civilisationnels profonds. Le thème du Congrès Tout le monde est fou traverse le travail des sept Écoles que l’AMP reconnaît, à partir de la façon dont il résonne dans le social et dans des contextes différents. Trois composantes se dégagent.
Disparition de la valeur du symptôme
On assiste à une entreprise d’élimination de la complexité des symptômes (nœud de parole et de jouissance), au profit d’interventions directes sur le corps et de catégories imposées.
Objectalisation du sujet
La généralisation du concept d’identité de genre et le nouveau cogito caractérisent un positivisme moderne. Sous les habits d’une soi-disant liberté et de l’autodétermination, on en vient à objectaliser le sujet. La question trans en particulier a donné lieu à des actions politiques et de nombreux événements d’École, de même que la critique clinique et politique du patriarcat.
Revendications contemporaines
Les formes modernes du dialogue, dont l’évolution est marquée par la réduction de la fonction de la parole, vont de pair avec la montée en puissance de la revendication de la responsabilité juridique de l’enfance.
Ces discours ne peuvent que rencontrer la psychanalyse, dans une opposition non pas idéologique mais logique. La psychanalyse est la seule discipline à faire fond sur la fonction du symptôme à partir d’une expérience de parole absolument unique.
Les voies que les Écoles empruntent pour tenir compte du mouvement actuel de la civilisation sont propres à chacune. L’enjeu est de taille pour les Écoles qui, dans une perspective pragmatique, font le pari de garder le cap de la praxis analytique. S’il s’agit de ne pas se laisser emporter, sans discernement, par la spire de l’époque, c’est bien au nom de cette praxis. Je relève ici la manière dont les Journées des Écoles ont majoritairement mis à l’ordre du jour des thèmes inhérents à cette praxis et à la cure elle-même : les entretiens préliminaires, l’interprétation, s’analyser qui a fait le thème d’ENAPOL.
Les récits de passe font également transmission à cet égard. Ils font passer au sens fort la psychanalyse dans l’époque. Chacun peut y reconnaître un effet qui touche au réel. Un peu comme à l’époque de Freud, ces intimités avaient été entendues avec un effet de vérité. C’est la démonstration que la psychanalyse touche encore. Elle fait entendre un autre type d’argumentation, une autre rationalité que la scientifique, d’autres modalités d’administration de la preuve, de mise en évidence. L’École est ici impliquée comme moyen d’une présence active de la psychanalyse dans le monde, dans le social.
Les réseaux de la Fondation du Champ freudien, les activités des groupes, laboratoires, ateliers du Champ freudien, qui se font toujours en coordination avec les instances locales de l’École, participent de cette action en se constituant comme lieux d’adresse indispensables. L’École n’a pas de programme, de parti, de puissant lobby, mais elle mise sur la force de l’énonciation et celle du transfert, pour travailler à l’avancée de la discipline.
Le thème du Congrès a connu un retentissement dans les activités des Écoles, bien au-delà des travaux proprement préparatoires. En effet, l’aphorisme de Lacan, avec l’orientation que lui a donné Jacques-Alain Miller, a donné un large empan des questions qu’il a suscitées : des coordonnées actuelles de la dépathologisation – auxquelles en particulier les praticiens et cliniciens en institution ont été très sensibles – à la question du délire articulé au rêve et à des questions touchant la fin de l’analyse, notamment la place du fantasme, avec des notes différentes suivant les Écoles.
Quels premiers échos vous sont déjà parvenus des travaux cliniques retenus pour les simultanées ?
Yves Vanderveken, responsable de leur organisation, remarquait que le signifiant « folie », auquel Lacan a redonné du lustre au long de son enseignement, prend ici, dans chaque cas, une dimension toute contemporaine, avec des bricolages et des inventions toujours plus singulières, dont la stabilité variable sera à interroger.
À l’encontre des préjugés idéologiques qui déconceptualisent la clinique et qui tendent à faire fond sur le déni de l’inconscient, la dépathologisation lacanienne n’efface pas les structures cliniques, et, au contraire, met en relief les arêtes du mode de jouissance. Les formes actuelles des discours, avec leur pousse-au-jouir et la « perte de sens », laissent souvent beaucoup de sujets sans recours, objet d’un plus-de-jouir qui les dépasse. La lecture de ces travaux a fait ressortir notamment une forme prégnante de sentiment contemporain d’indignité et/ou de rejet.
Last but not least, cent soixante cas cliniques seront présentés et discutés au Congrès, en traduction simultanée dans les cinq langues.
Nous vous attendons nombreux !
Questions posées par Corinne Rezki