
Les détectives de l’inconscient ou la passion du signifiant
Le premier roman d’Hélène Bonnaud [1], Monologues de l’attente [2], est une fiction psychanalytique qui nous plonge dans l’histoire de sept patients, dans sept salles d’attente de psychanalystes. L’écriture est tout en douceur, délicate, subtile, extrêmement précise. Certaines phrases ont valeur de coupure, elles forment un dire [3], deviennent extimes au récit de la petite histoire que se racontent les analysants. Ça résonne en vous, l’auteure a touché juste, en plein dans le mille ! On rit, on est ému, interloqué, suspendu aux vérités que recèlent les mystères de l’inconscient.
Ce livre est construit comme une série où chaque chapitre est un épisode de la vie d’un sujet lors d’une semaine glaciale de février 2018. L’auteure nous introduit dans ce moment si particulier, « un temps suspendu où se dévoile un pan de la vie de chacun » [4]. Entre introspection et discours adressé à l’analyste, les associations fusent. Les cogitations lors de l’attente d’une séance impliquent déjà l’analyste comme celui qui incarne un sujet supposé savoir. Il est question de l’amour, mais c’est un amour qui s’adresse au savoir, dans une recherche de vérité.
Monologues de l’attente nous laisse entrevoir l’analysant, figure de détective interrogeant son inconscient, via ses lapsus, ses actes manqués, ses rêves, jouant avec la consonance des mots, revenant sur les interventions de l’analyste. Le fil rouge du roman tourne autour d’« une histoire de folie ordinaire » [5]. Une femme est morte, peut-être tuée par son mari qui a perdu la mémoire. Chaque analysant deviendra alors un inspecteur imaginaire, traquant l’inconscient du supposé meurtrier. À travers ces fins limiers, le récit fait résonner la phrase de Lacan : « tout le monde est fou, c’est-à-dire délirant » [6]. C’est-à-dire que chaque parlêtre trouve une solution particulière face au réel auquel il est confronté, quelle que soit son organisation psychique.
Pour chacun, ça parle à tout-va. La condition humaine, nous dit Lacan en 1958, « ce n’est pas seulement l’homme qui parle, mais que dans l’homme et par l’homme ça parle » [7] ! C’est « la passion du signifiant » [8]. Avant même la séance analytique, nous découvrons les Witz issus de l’usage du signifiant, ainsi que les métonymies et les métaphores : « je suis l’homo-contrarius de ma femme » [9], dit l’un des personnage, « Le mur est devenu moi, ou je suis devenue mur, son mur, mur-murée de silence » [10], dit une autre ; métonymies et métaphores que sont les « effets déterminés par le double jeu de la combinaison et de la substitution dans le signifiant, selon les deux versants générateurs du signifié » [11].
Dans le cours de Jacques-Alain Miller de 1984 « Des réponses du réel » [12], il y a une référence concernant la passion du signifiant qui ne dépend plus de la signification du phallus. L’automatisme mental en est un exemple édifiant : « L’inconscient est le discours de l’Autre, peut se soutenir de cette expérience : passion du signifiant, du signifiant qui vient de l’extérieur et qui opère une intrusion dans la sphère de la cogitation intime du sujet. » [13] Nous pouvons alors interroger cette passion en deçà de la signification du phallus avec l’énoncé d’un des personnages : « Pousse-toi, tu prends toute la place » [14], et en mesurer toutes les conséquences dans le dernier chapitre du roman !
[1] Bonnaud H., L’Inconscient de l’enfant. Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin, 2013 & Le Corps pris au mot. Ce qu’il dit, ce qu’il veut, Paris, Navarin, 2015.
[2] Bonnaud H., Monologues de l’attente, Paris, J.-C. Lattès, 2019.
[3] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 454.
[4] Bonnaud H., Monologues de l’attente, op. cit., p. 9.
[5] Ibid., p. 26.
[6] Lacan J., « Lacan pour Vincennes ! », Ornicar ?, n°17/18, printemps 1979, p. 278.
[7] Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 688.
[8] Ibid.
[9] Bonnaud H., Monologues de l’attente, op. cit., p. 29.
[10] Ibid., p. 57.
[11] Lacan J., « La signification du phallus », op. cit., p. 689.
[12] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Des réponses du réel », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 18 janvier 1984, inédit.
[13] Ibid.
[14] Bonnaud H., Monologues de l’attente, op. cit., p. 174.
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