Une PUBLICATION de l'ECF, des ACF et des CPCT

Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 197

Le capitalisme et les choses de l’amour

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Si Lacan range l’amour parmi les passions de l’être c’est parce que ce dont l’amour pâtit n’est non pas la méconnaissance de la vérité, il peut en effet s’en faire le vecteur par l’amour de transfert, ni non plus le désir, car l’analyse permet de le dégager de l’amour, mais le réel de la jouissance en jeu pour un être parlant. L’amour fait écran à l’Un de la jouissance, d’être branché sur l’Autre. D’où l’abord complètement innovant de l’amour que Lacan propose dans son dernier et tout dernier enseignement, en le déconnectant de la seule médiation du phallus pour en faire le moyen qui permet à chacun des amants de « tisser son nœud ».

Lacan range l’amour du côté de la vérité, d’un mi-dire qui ne peut être dit mais supposé pouvoir être connu du partenaire sexuel. « L’amour c’est deux mi-dire qui ne se recouvrent pas. Et c’est ce qui en fait le caractère fatal. C’est la division irrémédiable, […] à quoi on ne peut pas remédier, ce qui implique que le ‘‘médier’’ serait déjà possible. Et justement, c’est non seulement irrémédiable, mais sans aucune médiation. C’est la connexité entre deux savoirs inconscients » [1]. La connexité, notion de topologie, suppose l’union des deux parties disjointes, mais ayant par ailleurs un point commun. C’est le cas pour l’union ou l’intersection de deux ensembles dans la partie où ils se superposent et partagent donc certains éléments. « Quand ça se produit, conclut Lacan, ça fait quelque chose de tout à fait privilégié. Quand ça se recouvre, les deux savoirs inconscients, ça fait un sale méli-mélo » [2].

L’amour est donc défini ici par une connexité entre deux savoirs, permettant de faire suppléance au non-rapport sexuel, pas tant entre deux corps, qu’entre deux savoirs inconscients, contre tous les mirages de l’imaginaire et des malentendus des échanges du registre phallique. Véritable événement donc, quand il a lieu, et que deux univers différents trouvent des signifiants en commun faisant signe à chacun des partenaires et produisant la rencontre.

Véritable événement surtout parce que le discours qui nous détermine, le discours du capitalisme, ne veut rien savoir des choses de l’amour : Verwerfung, rejet en dehors du symbolique de la castration, nous dit Lacan dans Je parle aux murs [3]. Le capitalisme peut récupérer les choses de l’amour pour en tirer profit : il suffit de constater le nombre de produits qu’il crée à cette fin, faisant miroiter un amour pouvant remédier au vide fondamental qui habite l’être parlant. Lacan formalise ce discours par une inversion des termes de celui du maître et par l’annulation de toute impossibilité, ce qui en fait un générateur de plus-de-jouir, à la différence des quatre autres qui constituent une barrière à la jouissance. La génération de la jouissance entre les quatre termes fait que ce discours n’a pas d’envers, ce qui empêche la torsion qui permettrait d’en trouver l’issue.

D’ailleurs lorsque Lacan évoque – une seule fois dans son enseignement – « la sortie du discours capitaliste » [4] dans « Télévision », il le fait par rapport à la position du saint, celui qui, à l’inverse du capitaliste, n’accumule pas la jouissance mais la décharite ; néologisme qui a peu à voir avec la charité et qui suppose que l’analyste se fasse objet a dans son acte.

Mais pour introduire un frein à la jouissance qui circule entre les quatre termes du discours du capitalisme, on peut isoler la structure minimale de discours : S1-S2 chez celui qui parle, ou bien pointer par l’acte analytique la dimension fantasmatique qui réunit $ et a sans médiation symbolique. Fixer ainsi les termes à leur place permet d’introduire la fiction nécessaire du sujet supposé savoir et opérer la seule subversion possible de ce discours où l’amour et la castration reprennent, de surcroit, leur place. Mais cela, nous rappelle Lacan, ne constituera pas un progrès si c’est seulement pour certains…

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les Non-dupes errent », leçon du 15 janvier 1974, inédit.

[2] Ibid.

[3] Lacan J., Je parle aux murs, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p .96.

[4] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 520.

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