Quelles sont les conditions pour que l’appel de ces pères s’adressant au CPCT ouvre à l’expérience d’un traitement à l’époque de « l’évaporation du père1 » ? Au CPCT Marseille-Aubagne, ouvert sur la cité, un enseignement peut être tiré concernant la place du père dans nos sociétés contemporaines à partir d’une clinique des déclinaisons de la figure du père dans ses différentes variations et incarnations.
De nouvelles figures paternelles émergent suite aux modifications radicales qui ont, à l’époque moderne, bouleversé d’un côté les rapports homme-femme et père-mère de l’autre. Les nouvelles modalités de procréation, l’émancipation des femmes, l’accroissement du nombre de divorces, les recompositions familiales ont profondément transformé la place du père. Que devient ce signifiant père aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’être père ? Quel père suis-je ou ne suis-je pas face à l’arrivée d’un enfant ? La psychanalyse a, depuis son invention par Freud, participé à la remise en cause de l’ordre patriarcal. Lacan déjà, dans « Les complexes familiaux », signale le déclin du père dont la personnalité est « toujours carente […], absente, humiliée, divisée ou postiche2 ». Il indiquait par ailleurs que l’Oedipe ne saurait tenir indéfiniment l’affiche. Cette formule est prémonitoire pour les trois cas présentés lors du dernier rendez-vous clinique du CPCT Marseille-Aubagne. Il est rare qu’un sujet, lorsqu’un clinicien fait offre de parole, ne parle pas de son père. En explorant les questions théoriques et cliniques posées par l’actualité du père, cette rencontre nous a permis de repenser la place et la fonction paternelle aujourd’hui. Nous avons pu voir comment dans la clinique du CPCT, parler a des conséquences et comment chacun des sujets en traitement tente de mieux se débrouiller avec la question du père, c’est-à-dire cherche un nouveau bricolage, aussi modeste soit-il, pour appareiller sa jouissance. C’est ce que Lacan appelle en 1976, se passer du père, à condition de s’en servir. Il s’agit dans cette perspective de distinguer les nouages et les dénouages pour le parlêtre.
M. A. a pu bricoler un Nom-du-Père sur mesure face au défaut symbolique. La naissance de son fils est corrélée à l’idée de faire du mal à son enfant. « Recréer une famille » est sa solution pour se différencier de son appartenance à une famille pathogène. Il endossera ainsi une figure de père imaginaire idéalisée. Sans doute, le traitement aura soutenu sa solution d’être ce père-là pour éviter le pire. Pour M. B., il y a une radicalité dans les règles qu’il impose à son compagnon en lieu et place de la loi qui fait défaut chez lui. Lacan a montré qu’il n’est pas essentiel pour que la fonction paternelle opère que sa présence soit requise dans la réalité. Ce qui compte, c’est que la mère fasse cas de la parole du père. Grâce aux interventions discrètes du consultant visant à soutenir des liens aux autres, Mme C. a pu traiter symboliquement le décès de son père là où les images défaillaient à combler le trou réel de la perte.
Retenons que la place du père est à inventer et à réinventer. La pluralisation du Nom-du-Père, détachant le nom de la fonction, indique que d’autres noms sur mesure peuvent remplir cette place pour tenir le nouage entre réel, symbolique et imaginaire.
Françoise Haccoun
[1] Miller J.-A., « Le père devenu vapeur », Mental, n°48, p. 13-16.
[2] Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 61.