La psychanalyse « pour le ‘‘Un’’ égaré », propose Jacques-Alain Miller, « c’est toujours la chance inouïe d’établir avec l’Autre un rapport où les malentendus que vous avez avec vous-même ont une chance de se dissiper » [1]. S’orienter de la psychanalyse lacanienne permet de lire le malaise contemporain où les sujets sont, de plus en plus, des épars désassortis et c’est ce dont témoigne la clinique du CPCT. Il n’est pas rare que ceux qui s’adressent au CPCT se trouvent à un tournant de leurs existences, où le défaut d’appuis en l’Autre, les égare. Comment s’orienter dans le monde sans la boussole de l’Autre ? Une patiente peut dire combien la liberté de choisir que la société offre aux femmes aujourd’hui la désoriente tout autant. Elle veut tirer au clair les doutes et les difficultés de choisir qui l’assaillent depuis toujours dans le domaine du couple et de la maternité. Quelle garantie pour l’être quand l’Autre du discours ne fait plus boussole ? Ou encore une autre patiente s’adressant au CPCT pour dysphorie de genre. Comment habiller son être quand on ne se reconnaît pas dans la nomination venue de l’Autre ? La dépression et les idées suicidaires sont le signe, pour elle, de ce mal d’être.
Le CPCT fait le pari d’un lien à l’Autre inédit qui ne soit ni de l’ordre de l’injonction, ni de la domination, mais du transfert. Lacan, dans les années 70, voyait déjà la chute du discours du maître au profit du discours capitaliste. Qu’est ce que cela signifie ? Le discours du maître, pour Lacan, se structure autour du signifiant-maître (S1) qui « identifie, fige, capture le sujet. Le signifiant-maître est celui qui permet de dire : ‘‘Je suis ceci aux yeux de l’Autre’’, mais en même temps il ordonne l’ensemble des signifiants désignés par S2 » [2]. Ainsi, le discours du maître est une boussole pour se désigner comme pour s’orienter dans le monde du signifiant, dans le monde du sens commun. Que nous enseignent les personnes qui s’adressent à nous ? Aujourd’hui, nous repérons que certains sujets ne se retrouvent pas dans le discours du maître, ils souffrent de ses effets, se sentent prisonniers d’identifications qui les font souffrir et qu’ils rejettent. L’offre du CPCT, dans sa plus grande humilité, peut leur permettre de se brancher sur un Autre qui ne soit ni l’Autre du discours du maître, ni celui du discours capitaliste – lequel promettant l’illusion de l’avoir au détriment de l’être –, mais un Autre sur-mesure par la grâce du transfert. C’est dans ce type de lien social, nettoyé des exigences sociales et sociétales, que le sujet pourra faire l’épreuve de ce qui fonde sa condition humaine et de ce qui est en jeu dans sa façon d’être-au-monde.
Les CPCT sont nés de l’initiative de l’École de la Cause freudienne qui « a choisi de déférer à l’invention des sujets » [3]. Dans les années 70, Lacan avait formalisé un nouveau discours – le discours capitaliste – « et qui comportait que le sujet, au nom de quoi ce discours se tenait, n’avait pas de signifiant, et que ce sujet-là était en quelque sorte libre de l’inventer, que son signifiant était introuvable. On entrait dans une ère où les sujets allaient inventer leurs signifiants-maîtres. […] L’École de la Cause freudienne a enregistré le changement d’ère. Cette déférence, cette humilité paraît prescrite, indiquée par Lacan » [4]. Cette indication précieuse, qui nous sert de boussole, éclaire les enjeux actuels où nous voyons émerger de nouveaux signifiants dans le champ des identifications sous les noms de genre et de communautés qui s’y rattachent, revendiquant leurs modes de jouissance. Ces trouvailles ne règlent pas pour autant les souffrances existentielles auxquelles chaque-Un est confronté en tant que sujet soumis aux lois du langage et de la parole dont le corps pâtit. Il s’agit d’offrir à ces sujets qui protestent contre le discours du maître – nommé patriarcat ou encore domination masculine – un lieu où ils pourront se brancher autrement dans le lien social. À la place de la protestation, nous proposons l’élucidation – au un par un – de ce qui fait difficulté. Car protester, c’est « accepter les termes du discours contre lesquels on s’élève et essayer d’en corriger les conséquences » [5]. Il s’agit plutôt de trouver la voie d’un désir jusque-là écrasé, ou de mieux se débrouiller avec ses propres démons qui séparent des semblables. Les sujets qui s’adressent au CPCT peuvent tirer au clair ce qui les agit et produire un savoir nouveau sur les butées existentielles qu’ils rencontrent.
L’action analytique permet ainsi de frayer une voie nouvelle, qui ne prend sa source ni dans un idéal de normativité, ni dans le désir de vouloir le bien de l’Autre. Voilà l’enjeu des CPCT – institutions orientées par la psychanalyse lacanienne – en prise directe avec les malaises de notre modernité.
* Fouzia Tauzari est la directrice du CPCT-Nantes.
[1] Miller J.-A., « Les prophéties de Lacan », entretien, Le Point, 18 août 2011, disponible sur internet.
[2] Miller J.-A., « Psychanalyse et modernité », Quarto, n°83, janvier 2005, p. 9.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid., p. 10.