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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 238

Binaire, la psychanalyse, vraiment ?

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Depuis quelques années, il est répétitivement reproché à la théorie psychanalytique d’être binaire – homme/femme.

Freud ?

Pourtant, Freud indiquait déjà que la question sexuelle se posait dans trois dimensions, l’anatomie, le choix d’objet (homo ou hétérosexuel) et le mode de satisfaction (actif ou passif) : cela fait 2 x 2 x 2 combinaisons, donc 8. Et si l’on y ajoute la revendication d’objecter à l’anatomie, le choix d’objet auto-érotique, la satisfaction qu’il peut y avoir à se déclarer asexuel ou encore en transition entre l’un et l’autre des genres, cela fait 3 x 3 x 4, soit 36 : ce qui fait beaucoup de monde appelé à cohabiter sous les identités LGBTQIA+.

Lacan ?

En apparence, Lacan propose effectivement un binaire homme/femme. Mais dès 1953, dans sa conférence « Le symbolique, l’imaginaire et le réel » [1], il pose un ternaire fondamental, et tout au long de son enseignement il défend l’apparent binaire homme/femme comme ne pouvant se concevoir que pris dans ces trois registres.

Certes, le signifiant est binaire, en tant qu’un signifiant ne se définit que par sa différence d’avec tous les autres signifiants, ce qui s’écrit S1 – S2. Mais si un signifiant n’existe que pris dans une chaîne signifiante, cette concaténation implique non plus seulement deux termes, mais au moins trois, voire plus. On peut être tenté de se représenter la chaine signifiante sur le modèle de celle de l’ancre des bateaux, comme dans les anneaux olympiques, et qu’elle ne présente qu’une succession de liens binaires entre un signifiant et celui qui le suit.

Cependant, la grammaire impose les différentes places où les signifiants doivent venir, soit un autre ordre que la simple succession. Et si un signifiant manque à sa place, la chaine, la phrase, se défait. D’où, dans le Séminaire XVIII …ou pire [2], l’introduction du nœud borroméen : dans cet entrelacs, qu’un seul rond se détache, et tous s’isolent.

Compter jusqu’à trois… et en fait quatre

Il y a plus : en apparence, le nœud borroméen, ce sont trois ronds – R., S., I. –, chacun d’eux n’existant en tant que tel que par son nouage aux deux autres : par son inclusion dans le nœud. Il faut donc ajouter le nœud lui-même, ce que Lacan formalise par l’écriture F(x, y, z) : F pour le nœud ; x, y, z pour les signifiants. Ce qui fait quatre lettres, et non plus seulement trois. Le ternaire lacanien est un « quaternion ».

Lacan, lorsqu’il découvre le nœud borroméen qu’a présenté le mathématicien Théodore Guilbaud dans un de ses cours, dit qu’il lui va « comme une bague au doigt » [3]. Bien que dans son enseignement il avait toujours insisté pour produire des structures à quatre termes [4], la logique binaire de l’opposition signifiante, insensiblement, s’était infiltrée : dans un premier temps, elle opposait le symbolique à l’imaginaire d’une part, et la libido (le réel) d’autre part. Puis elle regroupait sous le terme de semblant symbolique et imaginaire, pour les opposer au réel. La logique binaire compte jusqu’à deux, et elle hiérarchise : en opposant un premier terme aux autres, elle fait de ceux-ci ses successeurs. Par exemple, dans le premier temps, le symbolique supplantait l’imaginaire et le réel.

Avec le nœud borroméen, Lacan nous apprend à compter jusqu’à trois – au moins : le quatre (et plus) venant avec le rond du sinthome, dans le Séminaire XXIII [5]. Il nous apprend à compter jusqu’à trois et plus, et cela suppose qu’aucun terme ne supplante les autres, comme le réalise le nœud borroméen.

Sexuation

Qu’en est-il alors de la sexuation ? En apparence, les formules se répartissent selon l’opposition binaire homme/femme [6].

Mais la binarité de cette opposition supposerait qu’elle sépare radicalement le côté « homme » du côté « femme ». Or, dans ces formules, une femme n’est pas toute [7] du côté femme, elle participe du côté homme par la jouissance phallique, dont elle n’est pas exempte. La partition binaire est inconsistante, l’ensemble de La femme n’existe pas.

Alors, binaire, la psychanalyse ? C’est bien plutôt la revendication identitaire qui l’est – moi, hétéro, homo, trans, asexuel, etc. versus les autres. En cela, elle est vaine, voire mortifère.

[1] Lacan J., « Le symbolique, l’imaginaire et le réel », Des Noms-du-père, Paris, Seuil, 2005.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 91-92.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 203.

[4] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. 1, 2, 3, 4 » (1984-1985), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, inédit.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, op. cit.

[6] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, op. cit., p. 49.

[7] « Pas toute » s’écrit avec la barre sur le ∀x.

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