Le machisme fait retour dans la civilisation comme une conséquence de l’extension de la jouissance féminine rendue « toute » dans le pousse-à-jouir contemporain. C’est une conséquence, en quelque sorte, de la recherche d’absolutisation de la jouissance pas toute, et qui, depuis des décennies, a tendance à se généraliser comme un effet de la déliquiscence de l’ordre symbolique et du déclin du Nom-du-Père, voire de sa disparition dans le social. Cela a impacté le machisme en le réduisant à son pur statut de semblant, et même à sa parodie, pour parler comme Judith Butler, de manière dissociée de la position masculine que le tableau de la sexuation [1] formalisait lorsque le Père tenait sa place d’exception. Bien entendu, cette position impliquait aussi une imposture, comme Lacan l’indiquait. Il n’empêche qu’elle permettait à une femme, à certaines occasions, de trouver une borne à ce qui pouvait l’ouvrir à l’illimité d’une jouissance déconnectée du bord phallique. Désormais, les hommes se trouvent du même côté de l’illimité de la jouissance féminine, à condition d’avoir été analysés, ce qui rend plus difficiles les choses pour les deux sexes.
Jacques-Alain Miller a abordé les conséquences de cette évaporation du Père dans sa formidable lecture [2] du texte de Kojève « Le dernier Monde nouveau » [3], où Kojève ironisait déjà sur la barbe de Hemingway et la robe de chambre du père dans le roman de Françoise Sagan, Bonjour Tristesse. Il y voyait les derniers cris d’agonie d’un homme disparaissant depuis Sade, Napoléon et Brummel. J.-A. Miller avait alors pointé le « tous pareils » de la démocratie [4], une fois qu’on oblitère la partie consacrée à la fonction paternelle dans les formules de la sexuation d’Encore. Ce « tous pareils » assigne les hommes à un statut similaire à celui des femmes quant à cette jouissance où la différence est rabattue du côté de la recherche de l’égalité. Démocratisation qu’on ne peut que soutenir pour ses principes, mais qui montre une autre face, bien moins sympathique, quand elle opère une ségrégation des jouissances. La diversité sexuelle ne tolère pas forcément toutes les formes de jouissance et, surtout, elle impose aux hommes machistes une protestation à cette extension de la féminisation du monde.
Il arrive que le machisme prenne aussi des formes violentes où des hommes s’attaquent au corps même d’une femme – ce que le féminisme de quatrième génération dénonce depuis quelques années. C’est ce corps qui, de n’être pas aphligé par l’organe, s’ouvre à une jouissance méconnue et angoissante pour ces hommes violents. La haine, qui habite ces positions, rend compte d’une absence de distance des mâles en question d’avec leur propre jouissance qui fait retour à partir du corps de l’Autre sous la forme d’une jouissance pour eux menaçante. C’est une « protestation virile » qui s’attache à la jouissance phallique comme un pur semblant et qui en fait une occurrence particulière de la jouissance féminine rendue toute.
Les Incels (involuntary celibates), par exemple, ces célibataires de l’Autre sexe haïssent non seulement le féminin, mais aussi les hommes qui arrivent à séduire des femmes. Un autre mouvement néo-macho trouve à s’incarner dans les Angry white men qui protestent contre la perte de l’hégémonie des hommes blancs et qui ont voté massivement pour Trump en 2017. Ils ont vu, dans la victoire de Trump, une revanche et un progrès pour la cause masculine contre le président anti-macho Barack Obama. Ils s’érigent contre la parité dans les salaires défendue par les candidats démocrates, et plus largement contre la perte de l’hégémonie des hommes.
Si les êtres dits hommes sont désormais soumis aux impératifs du surmoi qui pousse à embrasser une jouissance sans bornes ou, à l’opposé, à protester contre cette position dans des halètements haineux, il reste aux hommes, un par un, la possibilité de s’affranchir de ces impératifs en inventant une façon de faire avec le signifiant phallique, sans trop faire consister une imposture qui risquerait de tourner au comique et qui, dans tous les cas, ne sera que du semblant.
[1] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 73.
[2] Miller J.-A., « Bonjour sagesse », La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 80-93, disponible sur le site de Cairn.
[3] Kojève A., « Le dernier Monde nouveau », Quarto, n°58, décembre 1995, p. 14-17.
[4] Cf. Miller J.-A., « Bonjour sagesse », op. cit., p. 84.