Si Jouer avec le feu1 de Delphine et Muriel Coulin traite bien d’un malaise brûlant d’actualité politique – celui de la montée en puissance des ultras d’extrême-droite –, sa force tient à l’orientation du désir qui a présidé à sa réalisation. D’une part, le malaise s’y filme à partir du nouage du social et de l’intime : la dérive d’un fils aîné vers le pire sous le regard impuissant du père, cheminot, ancien syndicaliste désabusé. D’autre part, c’est en choisissant de donner à voir à l’écran ce malaise par ce qui n’y est pas montré et qui reste tu, que ce film fait interprétation.
Filmer le trop par la coupure
Jouer avec le feu s’ouvre sur une scène énigmatique : la danse d’un corps d’homme en transe sur fond d’électro hurlant. Raves chez les fachos, comme on le saisit plus tard. Raves sans rêves ni limite. Un trop auquel ce corps est branché sans qu’il n’y ait malaise. Seule la coupure du montage se fait tranchante. D’où vient ce trop ? Le silence de la scène suivante y répond, en rendant visible de derrière les vitres du quotidien d’une maison l’absence qui transpire de celle qui manque.
Plan fixe sur l’absence
Tout à ses enfants, le père travaille la nuit, les réveille le matin, les nourrit, etc. Ils ne sont donc que trois, et non quatre. Rien n’est dit ni montré de la mère qui n’y est plus, sinon cette présence invisible et sourde depuis les bords – escalier, cloisons, portes. Ainsi se filment son absence et le silence qui l’entoure. Puis, bien après, il sera dit qu’elle est morte de maladie. Le père la veillait. L’aîné s’est occupé du second, le seul qui réussira.
De la mère à celle qu’on dit femme / diffame, l’absence du féminin en ce film crève aussi l’écran. De la maison jusqu’à l’usine désaffectée, reconvertie en salle de MMA2 pour ultras violents, aucune femme.
Faire corps avec d’autres hommes, tel est le choix de l’aîné. À la place du désir, la jouissance mortifère impossible à dire s’exhibe sur la scène du ring à coup de KO, loin des embrouilles du non-rapport sexuel.
Père-version en creux de scène
C’est alors qu’une scène se fait le pivot du film, donnant à voir ce qui aurait pu s’écrire autrement. Le second allant à la faculté, c’est la fête. Pour la première fois, ça rit et la présence d’une femme se remarque. L’aîné tente de danser maladroitement avec elle. Il va chercher son père : « Père, montre-moi comment danser avec une femme plutôt qu’avec les fachos ». Si un père n’a droit au respect sinon à l’amour, qu’à condition que son désir d’homme soit père-versement tourné vers une femme, encore faut-il que ce désir soit vivant. Or c’est précisément le reproche que ce fils adresse à son père : « toi, tu ne crois plus en rien ».
Le choix de conclure, contre l’impasse du père
Le père reste entièrement voué à ses enfants, sans transmission d’un savoir-y-faire avec la jouissance. Restent le laisser tomber de celui qui n’y croit plus, et le pousse-à-jouir sans limite d’un fils épousant l’envers des idéaux du père.
De l’usage du hors-champ et du silence, donnant à voir ce malaise de structure hors champ scopique, au choix de conclure sur les murs d’une prison, ce film trouve sa fin dans l’orientation éthique d’une responsabilité, du fils au père. Ainsi, du cinéma à la psychanalyse, pas de séance sans ponctuation qui n’ouvre à une voix possible.
Virginia Rajkumar
[1] Projection de film initiée par la commission ciné-psychanalyse en ACF en ÎdF, avec Hélène Combe, Mélanie Coustel, et Camilo Ramirez.
[2] MMA – Mixed Martial Arts.