Le temps est suspendu, en tout cas différent. Il semble s’étirer mais s’accélère aussi bien. Cependant de quel temps parlons-nous ici, celui de la séance analytique ou celui du confinement ?
Notre monde pressé fait une pause, il retient son souffle. Il est pourtant bousculé comme jamais. Ça tangue, ça chuchote, ça hurle. Un silence inhabituel s’est abattu sur la ville. On ignore combien de temps durera la parenthèse.
Une parenthèse dans le tourbillon du monde, n’est-ce pas justement ce que nous disons de la séance analytique ? En ces jours de confinement, la séance s’inscrit donc dans la parenthèse de la parenthèse et peu importe le mode sur lequel la parole s’y déroule. Moment précieux, où chaque analysant, hors du cabinet, s’efforce de s’isoler pour parler du plus intime à son analyste. C’est parfois compliqué quand on vit à plusieurs dans un minuscule appartement. D’aucuns s’ingénient à trouver une solution quand la réalité psychique n’attend pas. D’une séance à l’autre un continuum se fait entendre.
Une analysante fait des rêves à foison ; la scansion de l’analyste permet d’en isoler un qui fait résonner un signifiant-maître ; la voilà surprise. Une autre découvre qu’elle est moins angoissée depuis qu’elle est enfermée chez elle, obligée de cesser cette hyperactivité qu’elle croyait être un antidote à son angoisse. Heureuse contingence. Une fenêtre vient de s’ouvrir sur un espace inconnu d’elle jusque-là. Certains, comme si de rien n’était, poursuivent leur analyse tambour battant, tel cet homme, pris dans les affres d’une passion amoureuse douloureuse et qui se sent « noyé dans une mare de trois centimètres d’eau ». Il suffoque ; l’analyse lui permet de reprendre son souffle.
Sophie, elle, voudrait faire une pause dans son analyse, profiter de ce temps de confinement pour « refermer des portes ». Elle sait qu’il va lui falloir « tenir sur la durée » dans son appartement parisien et elle est « sur le mode défense ». Après sa dernière séance (au téléphone), elle s’est sentie angoissée au cours du dîner quand une pensée coupable lui est revenue. Une pensée coupable qui concerne son mari à qui elle avait menti par omission il y a quelques années. Elle veut chasser cette pensée qui est revenue avec fracas. Elle se sent capable de la mettre à distance et cela lui paraît spécialement important dans ce moment de confinement où elle a besoin de toutes ses forces. Elle a d’ailleurs fait un rêve qui lui indique ce dont elle a besoin ces temps-ci : elle se trouve dans un vaste appartement qui donne sur un jardin ; elle se sent un peu jalouse de l’amie à qui semble appartenir ce lieu somptueux et dont la vue la ravit. Elle ouvre la fenêtre, il y a plein de fleurs, c’est magnifique. C’est tout ce qu’elle voudrait, ouvrir une fenêtre sur un jardin. Il lui faut des images comme celle-ci, mais point de pensées coupables, ni d’angoisse.
Désangoisser mais ne pas déculpabiliser, nous conseille Lacan. « Cette culpabilité vise votre mère. Laissez ouverte la fenêtre de votre analyse. »
Sophie se rappelle son angoisse d’enfant, lorsqu’elle imaginait que sa mère savait tout de ses pensées. « Je me sentais transparente, j’étais obligée de tout lui dire, je ne pouvais pas avoir de jardin secret ».
« Voilà le jardin du rêve ! » scande l’analyste. J’entends rire Sophie. L’analyse est relancée. « Rendez-vous mardi ».
Où qu’elle ait lieu, la séance analytique est cette fenêtre ouverte sur l’autre scène. L’inconscient vous surprend quand il veut, dès qu’il le peut. Derrière cette fenêtre se tient le réel.