« Freud a pris la responsabilité – contre Hésiode pour qui les maladies envoyées par Zeus s’avancent sur les hommes en silence – de nous montrer qu’il y a des maladies qui parlent et de nous faire entendre la vérité de ce qu’elles disent. »[1]
Embarqués dans ces événements inédits, où s’impose aujourd’hui le silence du réel – la pandémie du coronavirus ne parle pas, ne s’interprète pas au sens analytique –, à chacun de faire face à cette contingence et de déterminer sa manière d’y répondre.
Nous sommes appelés à y répondre sur deux plans : celui du citoyen et celui de l’analyste. Concernant le citoyen, dans ce moment où nous sommes si démunis, chacun peut vouloir s’engager dans des actions, qu’elles soient politiques, humanitaires, psychologiques, selon ses engagements, son goût et son style.
Et l’analyste ? Comment est-il concerné dans sa pratique ? Pour ma part, avec les analysants, je n’ai pas trouvé de raisons d’immiscer ma personne dans ce réel et d’intervenir. Lorsque les séances reprendront, dans un, deux mois ou plus, l’inconscient sera au rendez-vous et les analyses reprendront naturellement leur cours.
À quelques-uns, au cas par cas, plus fragiles, isolés, au branchement sur l’Autre précaire, j’ai précisé que je serai là et proposé, s’ils le souhaitent, qu’ils me disent quelques mots, à l’issue de la première semaine, de la manière dont pour eux, s’organise ce confinement, comment ils trouvent à y répondre. La semaine suivante, les quelques-uns concernés sont au rendez-vous et par textos ou par téléphone, me font part des aménagements et des stratégies, parfois bien inventives, qu’ils ont trouvées. Certains me demandent s’ils pourront à nouveau me donner des nouvelles, me transmettre leurs écrits….
Et je ne bouge plus. Car mon souci est essentiellement de ne pas inverser la demande et d’accueillir ce qui se présentera sans présumer de la réponse qui sera à faire dans chaque cas. Même si aujourd’hui, cette question ne se pose pas, il n’est donc pas exclu, a priori, de proposer à tel sujet une « séance » par téléphone, ou par FaceTime, selon qu’il y aura à privilégier la voix ou l’image (image que nous nous efforçons généralement de ne pas faire consister en analyse – d’où le divan). Nous avons sans doute un effort à faire pour maintenir la position qui convient à l’analyste, c’est-à-dire de rester « non concernés », ce qui ne veut pas dire neutres, indifférents, mais de ne pas nous avancer comme personne, avec un désir d’aider, de soutenir, un désir de solidarité, de garder « le lien », autant d’erreurs de bonne volonté (erreurs qui, selon Lacan, sont, de toutes, les plus impardonnables).
Car, en ce moment où chacun se trouve à la merci de la contingence, du non-calculable – porte ouverte sur un réel qui ne peut s’inscrire dans l’automaton du réseau de signifiants –, le risque serait de faire passer la demande de notre côté, au détriment du désir de l’analyste, et d’anticiper l’usage que chacun va faire de cette contingence, les réponses qu’il va y apporter, la façon dont l’inconscient va s’en emparer. Nous pouvons être tentés, dans la hâte, de faire des propositions à ceux qui viennent régulièrement nous parler, pour que se poursuive l’automaton de l’analyse, c’est-à-dire de leur adresser notre demande, que ce soit au nom de leur bien (nous savons que, dans ce cas, c’est du nôtre qu’il s’agit), guidés par notre propre angoisse, par crainte que les analysants désinvestissent leur analyse, pour combler le vide dans lequel nous laisse le confinement, ou encore pour réduire le manque à gagner qu’implique cette interruption de la pratique.
Si nous croyons à l’inconscient, si nous faisons confiance à l’opérateur qu’est le transfert, il suffit de ne pas y faire obstacle et d’y répondre selon les principes de l’acte analytique, en évitant le passage à l’acte. Profitons-en pour relire les « Principes directeurs de l’acte psychanalytique »[2] tels qu’Éric Laurent les avait formulés le 16 juillet 2006 à l’Assemblée générale de l’AMP lors de son Ve congrès à Rome.
La psychanalyse est « sans standards mais pas sans principes »[3]. C’est le moment d’en témoigner.
[1] Lacan J., « Intervention sur le transfert », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 217.
[2] Laurent É., « Principes directeurs de l’acte psychanalytique », intervention lors de l’Assemblée générale du Ve congrès de l’AMP à Rome, 16 juillet 2006, disponible sur le site de l’ECF : causefreudienne.net
[3] Cf. « La pratique lacanienne de la psychanalyse : sans standards mais pas sans principes », IVe congrès de l’AMP à Comandatuba, 2004, inédit.