À chaque génération, les adolescents sont dans un accord impossible avec la génération précédente. Les semblants vacillent dans cette « délicate transition[1] » et le corps est convoqué pour éprouver ce qui, du non-rapport, organise le lien social.
« Y aura-t-il une nouvelle alliance entre l’identification et la pulsion ? »
Pour répondre à cette question, Jacques-Alain Miller, dans son texte « En direction de l’adolescence »[2], propose de travailler sur la différence sexuelle pré et post-pubertaire. Mais une remarque a retenu mon attention concernant le rapport au savoir. « Auparavant, le savoir était un objet qu’il fallait aller chercher dans le champ de l’Autre, il fallait l’extraire de l’Autre par les voies de la séduction, de l’obéissance ou de l’exigence, ce qui nécessitait de passer par une stratégie avec le désir de l’Autre[3]. » Depuis que le savoir est disponible automatiquement, sur simple demande formulée à la machine, il n’est plus l’objet de l’Autre.
Alors, grandir interroge particulièrement la génération précédente sur le soin qu’elle prend à entretenir un savoir ouvrant sur l’avenir. Un savoir qui ne soit pas seulement tourné vers le passé avec sa dette impossible et les croyances en une transmission via le Nom-du-Père.
Les adolescents opposent aux adultes un principe d’incertitude quant au savoir de la génération précédente. Mais ce que fait vibrer plus particulièrement cette nouvelle génération est « une autoérotique du savoir »[4] qui ne s’oppose pas frontalement à la génération précédente mais se passe des repères établis précédemment. Plus que jamais, le rapport au savoir sépare les générations et laisse les adultes face à une diffusion du savoir inconnue jusque-là. Cette discordance pourrait bien accentuer ce vieux ressentiment contre la nouvelle génération. Non seulement elle rejette le savoir des antécédents, mais les modes d’accès aux savoirs se passent de la transmission générationnelle comme jamais auparavant.
Depuis le 13 novembre 2015, chacun est convoqué devant sa peur du devenir. Les tremblements et fureurs qui secouent le temps de l’adolescence, nous obligent à reconsidérer les savoirs sur lesquels nous construisons l’Umwelt, le monde que nous imaginons commun à tous.
L’expérience de la psychanalyse confronte à un remaniement nécessaire de notre rapport au savoir. La journée du CIEN, organisée le 19 mars, à Lyon, a proposé des situations de jeunes prélevées dans des foyers, à l’hôpital, à l’école… Nos échanges ont tenté de produire un antidote à la méfiance envers la jeunesse et davantage de bienveillance vis-à-vis des jeunes humains qui accèdent à cet âge incertain.
[1] Selon la formule heureuse de Philippe Lacadée.
[2] Miller J.-A., « En direction de l’adolescence », Interpréter l’enfant, Paris, Navarin, 2015, pp. 191-204.
[3] Ibid., p. 197.
[4] Ibid., p. 196.