H. B : Le 19 mars dernier, a eu lieu à Lyon, une journée du CIEN sur le thème « On veut grandir, on sait pas comment faire ? ». Pourquoi cette journée a-t-elle été organisée et qu’est-ce qui vous a incité à y participer ?
Bernard Seynhaeve : La contingence. Ma rencontre avec Jacqueline Dhéret à PIPOL V. Nous parlions du laboratoire bulgare du CIEN, « L’enfant et ses symptômes » auquel je participe avec mes collègues du Courtil depuis 2008. Je lui expliquais comment le désir était à l’œuvre chez les Bulgares, leur détermination, leur courage aussi. J’expliquais à Jacqueline que durant l’année écoulée nous avions choisi pour thème « L’enfant et son corps » et que logiquement, pour nous inscrire dans le droit fil de l’orientation de la prochaine Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, « Après l’enfance », nous avions dans notre laboratoire, en Bulgarie, choisi de travailler cette année sous le titre « L’éveil de l’adolescence ». On connaît l’esprit d’initiative de Jacqueline. Elle m’a immédiatement répondu qu’il fallait absolument organiser un événement à Lyon autour de la problématique de l’adolescence et y inviter nos collègues Bulgares. Claudine Valette-Damase, présidente du CIEN, Nicole Borie, cheville ouvrière de la journée, et Jacqueline ont organisé une journée rassemblant les travaux des Bulgares et ceux des Lab de la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes. Vous vous apercevrez comment elles peuvent souffler sur les braises du désir.
H. B. : Seriez-vous d’accord pour dire que l’adolescent est celui dont le corps est le lieu de transformations pubertaires et pour qui le signifiant ne fait plus abri, pas sans effets de solitude ? Si oui, y-a-t-il des discours qui, à votre avis, permettent de prendre en charge ces effets de désarroi ?
B. S. : Je trouve précise et précieuse votre formulation de la difficulté adolescente. Le signifiant qui ne fait plus abri pour eux, nous reporte à ce constat que fait Jacques-Alain Miller dans son texte d’introduction aux 4es Journées de l’Institut de l’Enfant. Il dit ceci : « Les adolescents, me semble-t-il, pâtissent spécialement des impasses de l’individualisme démocratique, qui est lui-même le produit de l’effondrement des idéologies, des grands récits […] et de l’affaissement du Nom-du-Père[1]».
H. B. : Aujourd’hui, à votre avis, la question de la sortie de l’enfance est-elle particulièrement compliquée ? Par quels moyens peut-on en sortir ? Dans quel état ?
B. S. : C’est difficile de comparer la difficulté adolescente selon les époques, de comparer comment les adolescents vivent le moment charnière du passage de l’enfance à l’adolescence. Est-ce que cette période de ma vie, moi qui n’ai pas connu cet « affaissement du Nom-du-Père », moi qui suis maintenant grand-père, était plus ou moins compliquée que celle de mes petits-enfants qui entrent de plein pied dans cette période ? Je me souviens que je n’allais pas bien du tout et c’est même ce qui plus tard m’a conduit chez mon analyste. Et si je n’allais pas bien c’est précisément parce que je m’étais forgé un idéal du moi particulièrement impitoyable bâti sur les idéaux véhiculés par mes parents.
Je pense que la difficulté n’est plus la même, mais, dans la mesure où on vit à l’époque de cet « affaissement du Nom-du-Père », on assiste à un retour de flamme qui n’est pas moins impitoyable. À cet égard, Jacques-Alain Miller souligne que notre époque « est très incertaine quant au réel. C’est une époque qui nie volontiers le réel, pour n’admettre que les signes, qui sont dès lors autant de semblants[2] ».
À l’ère du numérique, les jeunes aujourd’hui inventent de nouvelles solutions pour quitter le lien familial et pour sortir de la solitude que provoque ce moment. De nouveaux liens vont se créer. S’appuyant sur le travail d’Hélène Deltombe, Jacques-Alain Miller souligne ce moment en définissant « l’adolescence comme moment où la socialisation du sujet peut se faire sur le mode symptomatique.[3] »
La souffrance adolescente peut être entendue, accompagnée dans le contexte d’un discours qui l’accueille d’abord, pour qu’il soit ensuite possible que chacun, au cas par cas, invente une nouvelle solution, un nouveau symptôme supportable, rendant possible une inscription du sujet dans l’Autre.
[1] Miller J.-A., « En direction de l’adolescence », Interpréter l’enfant, Paris, Navarin, 2015, p. 200.
[2] Ibid., p. 192.
[3] Ibid., p. 198.