Les 29 et 30 janvier derniers, Clotilde Leguil est venue à Bordeaux, invitée par l’ACF Aquitania, présenter ses deux derniers ouvrages[1] à la librairie Mollat, et participer à l’après-midi clinique du groupe Che vuoi ?[2] dans un amphithéâtre de la faculté de psychologie, rempli pour l’occasion. Drôle de week-end car à suivre Clotilde Leguil et les différents intervenants, nous avons vogué autour de cette zone très particulière vers laquelle nous mène la question du genre.
Drôle de genre, le titre de l’après-midi clinique animée par Daniel Roy, a été abordé par Clotilde Leguil comme une réponse à Trouble dans le genre[3], car il évoque le regard de l’Autre sur le sujet, mais aussi l’inquiétante étrangeté du genre, son insoutenable légèreté. En effet, ni l’état civil, ni l’anatomie, ni l’image ou encore les normes sociales ne suffisent à répondre à l’énigme soulevée ici. Le genre n’est ni un diagnostic, ni un symptôme, c’est l’insoutenable de la rencontre avec une ek-centricité à son être. Suis-je un garçon, une fille ? La décision ne conduit jamais à une identification stable. La différence des sexes ne conduit nullement à s’identifier à un côté ou à un autre, et cette indétermination est source d’angoisse.
Clotilde Leguil a su faire valoir l’intérêt des travaux proposés par les gender studies, et dégager l’apport capital de la psychanalyse quant à cette question. Freud et Lacan ont mis en avant l’impossibilité à trouver dans l’anatomie une réponse à la question sur l’être.
À l’aplomb de cela, Clotilde Leguil pose une citation de Jacques-Alain Miller, « Le sujet, à partir du moment où il est du signifiant, ne peut s’identifier à son corps, et c’est précisément de là que procède son affection pour l’image de son corps […]. C’est dans la faille de cette identification entre l’être et le corps, c’est en maintenant dans tous les cas que le sujet a un rapport d’avoir avec le corps que la psychanalyse ménage son espace. »[4]
Le corps est du côté de l’avoir et est disjoint de l’être. Cette faille irréductible met en défaut toute tentative d’identification à son corps. Pas d’harmonie possible entre le corps et la pensée. Cette disjonction entre le corps et l’être, entre le corps et le savoir, est une constante dans l’enseignement de Lacan, qu’il a beaucoup travaillée à partir de l’écart introduit par Descartes entre substance pensante et substance étendue. La trouvaille lacanienne, dimension non aperçue par Descartes, est celle du corps comme substance jouissante affectée par le langage. Un corps qui jouit des signifiants et qui n’est pas seulement une substance étendue, qui pense. L’anatomie est silencieuse et s’éprouver vivant tient à la façon dont le sexe va affecter le corps pulsionnel.
Cette béance, les tenants des gender studies nourrissent l’espoir utopique de l’annuler, en la contraignant par exemple avec une intervention chirurgicale qui pourrait harmoniser l’anatomie au savoir subjectif. Nous avons eu, avec les interventions de Clotilde Leguil, les cas cliniques présentés et la vivacité des réflexions menées – tous ces moments où l’insu se laisse approcher d’un peu plus près – la démonstration que le genre n’est pas prêt de pouvoir être ainsi rabattu. Le genre, par son affinité avec le sexuel, est un terreau privilégié pour que soit cultivée cette faille structurelle qui est la source du vivant et de l’inventivité du parlêtre. C’est pourquoi on ne ressort pas indemne d’un tel week-end, ça fait tout drôle, c’est réjouissant et on a hâte d’être au prochain événement.
[1] Leguil C., L’être et le genre, Homme/Femme après Lacan, Paris, PUF, 2015. Leguil C., Subversion lacanienne des théories du genre, (sous la dir. De Fanjwaks F. et Leguil C.), Paris, Editions Michèle, 2015.
[2] Groupe aquitain du CEREDA.
[3] Butler J., Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2005.
[4] Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause Freudienne n°44, Paris, Navarin/Seuil, février 2000, p. 9-10.