Je reçois Marie, 32 ans, pour un traitement au CPCT-Paris. Une question précise lui fait énigme : pourquoi, lorsque ses camarades de seconde se moquaient d’elle, n’a-t-elle pas réagi et ne s’est-elle pas défendue ? On y trouve, déjà, son rapport à la parole de l’Autre : Marie ne peut s’y opposer, elle la prend à la lettre.
Quand je lui demande si autre chose lui était arrivé à ce moment-là, elle s’aperçoit d’un point crucial qui s’était joué pour elle : la même année, il y avait eu plusieurs décès parmi ses proches. Elle remarque alors qu’à chaque fois qu’elle s’est adressée à un psy, la mort s’était faite présente dans son entourage. Et c’est encore le cas aujourd’hui, elle vient d’apprendre qu’une amie a une maladie grave. Cela va faire interprétation pour elle. Allant relire son journal intime d’adolescence, elle y trouve des cauchemars qu’elle y avait notés : elle mourait, elle assistait à son propre enterrement… À la rencontre avec le réel de la mort, Marie avait répondu en se rangeant dans la série des morts. Étonnamment, le seul fait de parler de cette découverte la détache aussitôt de cette espèce d’identification transitiviste. Là se dévoile l’autre versant de son rapport au langage : les mots ne mordant pas le corps, à peine épinglés, ils peuvent aussi se détacher rapidement.
Dès lors, Marie va commencer ses séances par une phrase rituelle : « ça va ». Ce « ça va » donnera le ton de ses séances et ce, jusqu’à la dernière. Marie abrase toute singularité en se rattachant à une « normalité » qui serait déjà inscrite dans l’Autre. Comme si elle, qui fut « trop couvée » par sa mère, ne pouvait parler que sous couvert de l’Autre ? Être « normale » est sa manière de se défendre d’un réel persécuteur qui affleure parfois dans ses cauchemars.
Or, se retrouver dans une place d’exception, en étant la seule à ne pas avoir eu des relations avec des garçons, la met dans une situation oppressante. Ses tentatives de rencontrer des hommes n’aboutissent pas. « Je ne laisse pas l’autre s’approcher », dit-elle. Ses associations à ce propos indiquent que la rencontre avec l’autre sexe présentifie une dévoration mortifère sans l’écran du fantasme. Dans la conversation que nous avons, elle prélève l’idée que la rencontre peut relever de la contingence. Marie en déduit qu’une relation est donc possible et par là même, moins impérative, moins urgente. La solution qui était la sienne – se tenir à l’écart de la rencontre tout en la rêvant pour plus tard – est réactualisée. Elle en est soulagée.
Dans le transfert, il aura fallu animer et soutenir sa prise de parole sur le mode de la conversation. Là où elle laissait l’autre parler d’elle sans rien dire, là où elle adhérait aux signifiants de la moquerie avec lesquels on l’avait qualifiée à son adolescence, par la grâce du transfert un aménagement s’est ouvert pour elle : Marie a pu prendre la parole tout en restant « normale », à l’abri d’un regard intrusif, toujours sous couvert de l’Autre.