
Lost in classification
Le modèle biomédical en psychiatrie et le système classificatoire sur lequel il repose sont remis en question depuis plusieurs années, en témoigne le collectif STOP DSM[1]. Ce mouvement est sans doute en train de s’accentuer, comme le montrent deux articles de presse récents[2].
En 2013, la Société Britannique de Psychologie publie une prise position intitulée « Classification of Behaviour and Experience in Relation to Functional Psychiatric Diagnoses ». Elle y demande avec force un changement de paradigme en santé mentale[3]. Selon cet avis, le diagnostic psychiatrique pris sous un axe biomédical – comme témoin d’un dysfonctionnement biologique – « obscurcit les liens entre l’expérience, la souffrance, le comportement et le contexte social, familial, culturel et existentiel » ; son impact sur les « usagers » est potentiellement négatif, source de discriminations et de stigmatisations, et les dépossédant de l’expérience vécue. En conclusion, cette prise de position promeut une approche multifactorielle et contextuelle de la souffrance psychique, et met en valeur sa « formulation psychologique ». Le lecteur reste néanmoins sur sa faim s’il veut avoir une idée de l’alternative proposée.
Un article récent du journal Le Monde[4] témoigne du parcours de Vincent, un homme diagnostiqué schizophrène, et dont l’existence a changé radicalement grâce à la rencontre d’une nouvelle nomination et d’une communauté qui la porte : celle « des entendeurs de voix ». Depuis son accueil au sein de ce groupe, hébergé dans un centre de santé lillois, Vincent a changé de rapport à ses hallucinations. Le journaliste précise : « Il apprend à profiler ses voix en les identifiant d’après leur sexe, leur tonalité, leurs habitudes. Il commence alors à leur fixer des règles, les réprimander, les apprivoiser. Il comprend qu’elles surviennent à chaque fois qu’il tombe amoureux. De patient, il est devenu expert au sein de l’institution psychiatrique et aide à son tour les entendeurs de voix. A présent, affirme-t-il, ses voix sont devenues sa force. Elles l’avertissent quand une émotion trop violente surgit et l’aident à gérer le stress. “Elles sont devenues un outil formidable pour moi. Je suis quelqu’un de plus heureux maintenant, et cela, c’est grâce à mes voix”. »
Il est maintenant clair que le package proposée par la psychiatrie statistique et biologique (causalité biologique, maladie à éradiquer, traitement médicamenteux comme seule réponse) sera de plus en plus remis en question. Faut-il pour autant se passer de toute classification ? Est-ce une raison pour remettre en question l’utilisation des traitements médicamenteux pour limiter la souffrance ou les débordements de jouissance ? Quid du transfert et de l’appui qu’il représente ? Quelle type de nomination la rencontre avec un psychanalyste produit-elle ? Autant de questions ouvertes par la prochaine journée de la FIPA.
[1] http://stop-dsm.com/index.php/fr/
[2] http://www.theguardian.com/society/2013/may/12/psychiatrists-under-fire-mental-health?CMP=share_btn_fb
[3] https://dxrevisionwatch.files.wordpress.com/2013/05/position-statement-on-diagnosis-master-doc.pdf
[4] http://www.lemonde.fr/medecine/article/2016/02/15/entendeur-de-voix-il-devient-expert-au-service-de-l-institution-psychiatrique_4865742_1650718.html#v2ctQKVqokqvEJBy.99
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