Un fervent auditeur du séminaire de Lacan dont il disait que c’était la seule personne qui pensait en parlant. Tous les soirs après ses séances, « fatigué des névroses, psychoses et perversions, il m’invitait à la Calèche et m’arrosait de champagne. Pourquoi moi ? Parce que je l’écoutais. Comment ne pas faire autrement ? Il ne parlait jamais pour ne rien dire. Chaque phrase me revient encore » [1].
Pourquoi provoque-t-il ce désir de le rencontrer ?
Car celui dont le pseudonyme signifie « tout entier art » [2] en a fait une manière de vivre à la manière des surréalistes, dont le fondateur André Breton fut un ami proche.
Arrivée à Paris, je n’eus de cesse que de mettre ce souhait à exécution.
L’occasion m’en fut donnée grâce à la chargée de presse de la Pléiade.
Au départ son ironie et son côté fanfaron ne facilitaient pas le contact.
Caustique sur l’époque, il ne goûtait que les Lumières et le XVIIIe – on n’est pas vraiment à l’aise.
Mais très vite, son enthousiasme littéraire et ses critiques souvent très justes révisent cette prévention.
De l’époque, il critique l’omniprésence de la sessualité [3] selon l’expression de Queneau et la moralité « moraline » [4] des nouvelles féministes.
Une carrière en 80 romans et essais
De son premier roman publié Une curieuse solitude [5] à son tout dernier, Sollers se sera attaché aux mots, au langage. D’une lecture assidue des classiques : Lautréamont, Voltaire, Rimbaud, Hölderlin et tant d’autres, il fait remonter ce goût à son adolescence, à sa mère – pour Marcel Proust – et à son écoute des messages brouillés et poétiques de Radio Londres dans la belle maison de Bordeaux dont le sous-sol était occupé par les Allemands.
Il aura vécu dans une conversation permanente avec les grands écrivains, les citant sans cesse, mais il a veillé à toujours être totalement inscrit dans le présent.
Les singularités des auteurs lui permettaient de forger la sienne propre.
Pour ne retenir qu’un trait de Philippe Sollers, c’est l’ironie – toujours prêt à faire ressortir l’absurdité du monde.
À l’évocation de sa propre mort, il cite Voltaire : « On a essayé de m’enterrer et j’ai esquivé. » Ainsi, cette mort qu’il évoquait comme une présence permanente, très freudien, il l’a préparée avec une épitaphe Rose Croix, La Rose, la raison dans La Croix du présent [6], reprenant une citation d’Hegel.
Sa tombe est située près de celles d’aviateurs australiens, anglais et néo-zélandais morts en venant libérer la France, à Ars-en-Ré.
Sollers prêt à s’envoler.
« Sollers, de sollus et ars » [7], « Tout entier art »[8], poétique jusqu’à la mort.
Marlène Belilos
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[1] Cf. Sollers Ph., Lacan même, Paris, Navarin, 2005.
[2] Sollers Ph., Portrait du joueur, Paris, Gallimard, 1985, p. 72.
[3] Cf. Queneau R., Zazie dans le métro, Paris, Gallimard, Folio, 1972.
[4] Clermont T., « Philippe Sollers : Ni remords ni erreurs. Assez de “moraline” », Le Figaro, 24 février 2021, disponible sur internet.
[5] Sollers Ph., Une curieuse solitude, Paris, Seuil, 1958.
[6] Cf. Hegel G.W.F., « préface », Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1940, p. 44. Disponible sur internet : https://archive.org/details/HEGELDROIT1940/page/n41/mode/2up
[7] Sollers Ph., Un vrai roman. Mémoires, Paris, Gallimard, Folio, 2007, p. 16.
[8] Ibid.