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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 208, Édito

Éditorial : Rêve, honte et pudeur

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Freud a fait le pari que le rêve constitue « un acte psychique à part entière […] que nous pouvons utiliser dans l’analyse » [1]. Il s’intéresse au travail du rêve qui transforme les pensées latentes en contenu manifeste et il s’en approche par le travail d’interprétation en prêtant une attention toute particulière au texte du rêve. Très vite néanmoins, Freud, grâce à l’ombilic du rêve, repère un point obscur qui ne se laisse pas prendre par l’élaboration signifiante. Derrière ce qui est nommé, il y a l’innommable, la mort [2].

Le rêve serait la voie royale pour atteindre, tenter de cerner ce point le plus intime du sujet qui échappe au symbolique, et s’il est la réalisation d’un désir, c’est celui d’en savoir quelque chose sur le réel en allant vers « la perte imagée au point le plus cruel de l’objet » [3]. Or, Lacan fait de l’ignorance « la passion majeure chez l’être parlant » [4], à côté de l’amour et de la haine. Donc même si le rêve est la voie royale pour tendre vers ce point de réel, ce n’est pas pour rien que le dormeur se réveille lorsqu’il s’en approche de trop près. Une pudeur, au service du fantasme, édifie une « barrière [qui] sépare et délimite tout accès direct à cette béance » [5]. Elle permet une « poursuite du rêve par d’autres moyens » [6], de continuer à dormir à l’état de veille.

Les rêves touchent ainsi à des points de réel mais sans le recours à la boussole du symbolique, ils peuvent vite prendre l’allure d’une angoisse massive. C’est ce que nous indique le rêve de l’homme aux loups [7] : par la fenêtre qui s’ouvre, quelque chose lui a été donné à voir. Surgit dans ce rêve un « hôte inconnu qui apparaît de façon inopinée » [8]. Le rêve, tentative de coder la scène du coït, échoue à la voiler et laisse errant le non-pude [9] dans le sens où l’autre versant de la pudeur, en tant que seuil à ce réel indicible, tente de donner une « réponse […] au non-rapport », « d’en construire les bords » plutôt que d’être « le cache-misère de l’obscénité du plus-de-jouir » [10]. Notre expérience clinique témoigne à l’occasion de rêves qui parviennent à voiler, pour le temps de l’expérience onirique, ce point de réel toujours prêt à surgir. L’adresser en séance permet de poursuivre l’écriture d’un savoir y faire.

[1] Freud S., « Révision de la théorie des rêves », Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, p. 16.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 247.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 58.

[4] Lacan J., « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Écrits », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 558.

[5] Monribot P., « La pudeur originelle », Quarto, n°90, juin 2007, p. 35.

[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Nullibiété. Tout le monde est fou », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 11 juin 2008, inédit.

[7] Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (L’homme aux loups) », Cinq Psychanalyses, Paris, PUF, 2003, p. 325-420.

[8] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 91.

[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 12 mars 1974, inédit.

[10] Monribot P., « La pudeur originelle », op. cit., p. 36.

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