
Fantasy
Le rêve, dit Freud en 1925 : « peut être décrit comme un morceau d’activité fantasmatique au service de la sauvegarde du sommeil » [1].
S’engager dans le travail d’interprétation de nos propres rêves, dans la cure, nécessite de franchir un seuil : celui de la pudeur. L’univers que révèlent nos songes n’est pas toujours reluisant et s’y confronter réclame un certain courage…
Mais, au fond, comment s’articulent les rêves – phénomènes répétitifs et loufoques d’une inventivité infinie – au fantasme où se scelle un scénario d’une absolue fixité, qui n’émerge et ne se révèle que dans la cure ?
On pourrait relire l’assertion de Freud, selon laquelle le rêve est toujours l’accomplissement d’un désir, à la lumière de la conception lacanienne de la jouissance : dans le désir que le rêve réalise, c’est la pulsion qui est à l’œuvre, au premier plan, un jouir de…
Ce qui fait alors point commun entre rêve et fantasme, ce n’est peut-être pas tant le désir évoqué par Freud que la jouissance qui y est logée pour prendre un petit air civilisé.
Les rêves, comme le fantasme, sont donc aussi capsules de jouissance, scénarisées, mises en forme, passées à la moulinette du langage. La différence entre fantasme et rêve, c’est que la formule du fantasme est l’effet d’une réduction, quand le rêve au contraire se déplie dans de multiples directions et brouille les pistes à l’envi.
Dans le fantasme, la jouissance n’est pas voilée par le cryptage, mais reste celée dans les limbes de la méconnaissance propre à l’inconscient. Si le fantasme, c’est l’ornière dans laquelle on ne cesse de tomber, le récit de la chute éternisée, le rêve serait plutôt une entreprise de retraitement des déchets de jouissance encombrants et insistants. Je proposerais donc le rêve comme une sorte de fantasme transitoire et éphémère, traitant l’affaire du jour.
Si l’un comme l’autre s’établit autour de la jouissance secrète du sujet, peut-on faire l’hypothèse que le rêve vienne comme soutien du fantasme ? Pourrait-il soutenir la mission de ce dernier qui est de réserver un accès privilégié à une jouissance opaque, ignorée du sujet et puissamment addictive ? Et, en même temps, servir un autre seigneur exigeant : le maître de la censure et de sa transgression, autrement dit, le surmoi ? Rêverait-on sans surmoi ?
Il fut un temps où l’on considérait qu’une cure se terminait par la traversée du fantasme : on se désabonnait de l’immuabilité du scénario, de la répétition de jouissance qui y était mise en conserve, et la place était libérée pour le désir. Aujourd’hui ce n’est plus tout à fait le mot de la fin, s’il y en avait un. On peut avoir traversé le fantasme sans pour autant avoir serré la jouissance opaque qui y était encapsulée. Elle est pourtant le point de départ de l’affirmation de la vie comme de l’empêchement majeur que le symptôme incarne.
Parallèlement, dans les cures poussées à leur conclusion lacanienne, on constate que le rêve se présente comme un élément incontournable du trajet analytique, de l’élucidation des symptômes et surtout du travail de resserrage autour du condensat de jouissance auquel un être parlant se réduit au bout du compte. Dans une analyse, ce sont ces traces que l’on guette, que l’on suit et que l’on redoute, c’est son écho que l’on cherche à faire résonner.
Et les rêves sont là comme cailloux sur le chemin. Libre à chacun de s’y arrêter pour les examiner…
[1] Freud S., « Quelques additifs à l’ensemble de l’interprétation des rêves », Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985, p. 142.
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