Dès la première table ronde de la Conversation « Modes de jouir – Le temps pour choisir », l’expression « le sujet contemporain » a surgi. Reprise ensuite plusieurs fois au cours de la journée avec sa variante « le sujet moderne », elle n’a pas manqué d’interroger Jacques-Alain Miller qui l’a mise en débat. Conclusion : si sa mise en orbite dans notre champ a été contemporaine de celle de « nouveaux symptômes », elle n’a cependant plus lieu d’avoir cours dans notre champ. Michèle Rivoire, quant à elle, a tiré un autre fil, qui en est, aussi, une démonstration.
Le colloque Uforca a eu lieu le 30 mai dernier à la Maison de la Mutualité à Paris. Avec sa forme coutumière, cette conversation clinique a renouvelé cette fois encore notre rapport à la question posée dans son allocution d’ouverture par Jacques-Alain Miller : qu’est-ce qu’un sujet obtient quand il se soumet à la discipline de l’association libre ? Les six cas réunis par Gil Caroz étaient davantage centrés sur la jouissance que sur le signifiant. Il y était question de conduites, manières de faire pour contenir, border, réprimer la jouissance ; et de choix, en particulier, choix de genre et de partenaires sexuels, en bref, choix de modes de jouir. Renversant les termes de la question classique en psychanalyse – le sujet veut-il ce qu’il désire ? – et mettant en évidence le caractère peu divisé des sujets présentés, fussent-ils névrosés, une interrogation a traversé la journée : le sujet, aujourd’hui, désire-t-il ce qu’il veut ?
Beaucoup de choses ont changé dans la sexualité des sujets de notre temps. « Le symbolique a changé le tempo », écrit Christiane Alberti à propos des prochaines Journées de l’ECF[1], « on danse le rock and roll à l’envers, un signe et hop ! Cela n’en demeure pas moins un montage. La sexualité a beau être en plein vent, le sexe fait toujours trou dans la vérité. On n’en sera pas quitte. » Au siècle dernier, la « jactance » (le mot est de Jacques-Alain Miller) des discours de libération sexuelle était déjà articulée au primat de la jouissance. Mais la jeune génération semble avoir épuisé le charme des postures transgressives et le choix sexuel n’est déjà plus tout à fait une affaire d’identité.
Sans culpabilité, ni angoisse de castration, Julien et Jean sont très déterminés quand ils viennent chez l’analyste non parce qu’ils souffrent mais parce qu’ils sont dérangés par la multiplicité de leurs jouissances. Ils s’engagent dans la cure comme expérience capable de les aider à choisir. Cependant la mise en forme analytique de leur fantasme fait apparaître chez eux une structure inconsciente et des identifications fortes. Le désir maternel est pour les deux le pivot de cette structure dépliée avec plus ou moins de détails de leur histoire infantile. Les modes de jouissance de Julien se répartissent entre jouir d’une femme et la faire jouir, et d’autre part, avoir avec des hommes des relations sensuelles idéalisées ou des relations sexuelles. En vérité, avoir une relation sexualisée avec une femme appelle toujours pour lui en parallèle une soumission sexuelle à un homme. Jean, quant à lui, a des histoires d’amour et des liaisons passagères avec des hommes et avec des femmes. Actuellement, il doute beaucoup quant à ce qu’il veut faire : fonder une famille avec une femme ou adopter un enfant avec son compagnon.
Avec Louise, on est sur un tout autre terrain. Sa première expérience sexuelle avec un garçon l’a confrontée au vide : pas de sensations, d’affects, de souvenirs, pas de discours. Rien pour voiler le trou de son existence. Au cours de la cure, elle se bricole un montage de jouissance inédit, par un raccord au corps de l’autre qui exclut la rencontre sexuelle. Car, selon elle et pour elle, « la sexualité, c’est tout seul ». Son montage trouve un « point de capiton »[2] dans l’image fixe d’une femme qui jouit et dont le regard lui permet de jouir de son corps propre. L’analyste, quant à lui, « se fait docile à ce savoir singulier échangé sur le fil du désir »[3].
Sur ce fil du désir tendu entre les inventions, les bricolages, les savoirs singuliers des sujets et l’impossible savoir sur le sexuel, la conversation clinique effectue une élaboration patiente et pragmatique, inscrivant l’insaisissable dit-mansion de la rencontre à partir du trou du savoir.
[1] Alberti C., « Match point », L’Hebdo-Blog n° 35 (8 juin 2015), à propos du thème des prochaines Journées de l’ECF sur le thème « Faire couple. Liaisons inconscientes ».
[2] Intervention d’Éric Laurent.
[3] Proposition de Jacqueline Dhéret.