Écouter les premiers témoignages d’AE provoque souvent chez moi un certain déroutement. Les modes de jouir de chacun, en phase avec l’époque, se trouvent réduits à n’être que « ça », une jouissance qui se répète, constituant l’aune de notre existence.
D’une cure à l’autre, il a fallu parier et inventer. À nouvelles pratiques de la psychanalyse, nouvelles formalisations… Ce texte, écrit à partir de ce que j’ai entendu et de quelques notes, cherche à rendre compte dans la foulée de quelques-unes.
Prenons ainsi la place des rêves dans les cures.
Rêver, on peut n’avoir pas attendu son entrée en analyse pour ça. Au réveil d’un cauchemar d’enfant, Jérôme Lecaux s’est entendu murmurer « Enlève-moi cette chose qui pue ! », surpris de trouver sa mère penchée sur son lit, toute à sa curiosité d’en débusquer la signification. Ce n’est que bien plus tard que l’événement autour du rêve a été déchiffré : il a fallu la présence d’un analyste suffisamment silencieux et dépassionné du sens pour qu’il puisse apercevoir l’Autre scène auquel ce rêve pouvait renvoyer.
C’est frappant : aucun de nos collègues n’a rapporté une interprétation de son analyste ayant conduit au déchiffrement d’un rêve aux coordonnées fantasmatiques. On n’a pas su par exemple, si l’analyste d’Hélène Guilbaud s’est tu lorsqu’elle lui a apporté ce rêve inaugural dans lequel figurait une dépouille, objet perdu de son père et support de son être à elle. La réduction radicale à laquelle l’analyse l’a conduit balaie-t-elle l’intérêt de cette interprétation-là, si seulement elle a eu lieu ?
Idem pour le rêve récurrent dans lequel Jérôme Lecaux pilotait un avion dans un champ de lignes à haute tension. Le cauchemar insistait alors que le rêveur avait déjà aperçu la place qu’il occupait et sa fonction, d’être le phallus maternel. L’avoir enfin raconté à son analyste a permis la levée de l’inhibition. La simple ponctuation de celui-ci semble avoir fait interprétation.
Dans ces premiers témoignages, les rêves ont surtout servi à un usage de formalisation de la fin de la cure. Souvent mis en série, ils ont été reconnus au réveil comme établissant un avant et un après, mais pas sans être traduits en signifiants et livrés une dernière fois à l’analyste. Pointant une jouissance clandestine, allant même jusqu’à la nommer parfois, leur trouvaille pouvait aller jusqu’à désamorcer le signifiant-maître construit dans la cure de sa charge de jouissance.
C’est en effet du haut de son rêve que Véronique Voruz voit choir ce membre arraché, jambe amputée de sa mère et reste de corps sacrifié qui constituait son articulation destinale. C’est du haut de son rêve qu’a jailli un signifiant nouveau qui la place du côté de l’existence. À l’arrache renverse l’arrachée, desserre le nœud signifiant aliénant qui la déterminait et opère un rebroussement providentiel, qu’elle prend comme sien.
Un rêve de Laurent Dupont indique les lettres conclusives cac, cac, cac mais il a fallu les dire à l’analyste pour les apercevoir, dans un witz qui a un au-delà. Une interprétation avait révélé à l’analysant sa jouissance à jouer avec le signifiant, comme le phoque avec la balle. Mis en série avec le rêve des trois tableaux et celui de la chute du père et de l’analyste, il conduit le rêveur au bout du tunnel à entrevoir un c’est ça qui met un terme à la cure. Il demande la passe.
Par ailleurs, jamais je n’avais entendu témoigner d’une telle prise de parole sur le corps. Prise et déprise signifiante, suivant un temps logique de ce corps toujours extravagant au point où il s’est lié à la langue et dont la dinguerie assumée n’a jamais été si sérieusement et joyeusement partagée !
Pour preuve, les rires qui n’ont pas arrêté de circuler pendant le témoignage de Jérôme Lecaux. S’ils ont commencé avec la drôlerie des emmêlements œdipiens révélés par un lapsus inaugural, ils ont accompagné la décomplétude assumée de celui qui témoignait d’un trajet du corps dans sa cure : de l’éprouvé d’un trou dans la colonne vertébrale à celui d’une nouvelle consistance du corps, d’une mortification à une érection du vivant. Une force nouvelle s’éprouve sur un mode quasi-tantrique, selon la formule de Jacques-Alain Miller.
Les affects de vertige de Fabian Fajnwaks, ceux du dégoût de Laurent Dupont sont plus discrets et moins insolites mais tout aussi liés à un plus de vie ressenti en acte pour la psychanalyse.
Véronique Voruz témoigne plutôt de la levée d’une fixation de jouissance sur le corps. L’inflammation de ses yeux cesse, le signifiant monstre se défait de sa force de frappe lorsque l’analyse saisit au bond l’invocation divine qui jaillit discrètement de sa plainte – « Enfin, vous l’avez vu ! »
Un pas-de-sens, hors signifiant dans lequel Dieu s’aperçoit place vide où se loge l’objet.
Hélène Guilbaud relate un phénomène imaginaire étrange et passager, pas sans lien avec le signifiant-maître sous lequel elle disparaissait, au moment où l’Autre se vide de sa jouissance comme l’interprèteront les rêves de fin de cure.
L’hallucination auditive d’un raclement de gorge suivie d’une décharge électrique perçue dans le corps met un terme à l’analyse de Caroline Doucet. Du phénomène isolé du récit qu’elle dit sans affect, elle décide de faire événement qui s’isole en demandant la passe. Sur quoi le jury redouble son pari.
Vraiment pas question de conformité pour la passe et pour le corps parlant !